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par le passé, et l’on commença tout de bon à aiguiser les couteaux et à faire rougir les boulets, car de moment en moment on attendait l’ennemi.

Le 23 août 1810, une effroyable canonnade qui retentit par tout l’île annonça que l’ennemi était arrivé.


II.

LIONS ET LÉOPARDS.


C’était à cinq heures du soir, et vers la fin d’une de ces magnifiques journées d’été, inconnues dans notre Europe. La moitié des habitants de l’île de France, disposés en amphithéâtre sur les montagnes qui dominent le grand port, regardaient haletants la lutte acharnée qui se livrait à leurs pieds, comme autrefois les Romains, du haut du cirque, se penchaient sur une chasse de gladiateurs ou sur un combat de martyrs. Seulement, cette fois, l’arène était un vaste port, tout environné d’écueils, où les combattants s’étaient fait échouer, pour ne pas reculer, quand même, et pouvoir, dégagés du soin embarrassant de la manœuvre, se déchirer à leur aise ; seulement, pour mettre fin à cette naumachie terrible, il n’y avait pas de vestales au pouce levé ; c’était, on le comprenait bien, une lutte d’extermination, un combat mortel ; aussi les dix mille spectateurs qui y assistaient gardaient-ils un anxieux silence ; aussi la mer, si souvent grondeuse dans ces parages, se taisait-elle elle-même pour qu’on ne perdît pas un mugissement de ces trois cents bouches à feu.

Voilà ce qui était arrivé.

Le 20 au matin, le capitaine de frégate Duperré venant de Madagascar monté sur la Bellone, et suivi de la Minerve, du Victor, du Ceylan et du Windham, avait reconnu les montagnes du Vent, de l’île de France. Comme trois combats précédents dans lesquels il avait été constamment vainqueur avaient amené de graves avaries dans sa flotte, il avait alors