Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instant l’orchestre préluda, donnant le signal de la contredanse.

Sara avait fait un violent effort sur elle-même en se condamnant à voir danser ses compagnes ; car, ainsi que nous l’avons dit, elle aimait le bal avec passion. Mais toute l’amertume du sacrifice qu’elle faisait retomba sur celui qui le lui avait imposé, tandis qu’au contraire un sentiment plus tendre et plus profond qu’aucun de ceux qu’elle eût jamais éprouvés commençait à naître dans son âme en faveur de celui pour lequel elle se l’imposait ; car c’est une des sublimes qualités des femmes, que la nature et la société ont faites faibles d’une double faiblesse, de porter un puissant intérêt à tout ce qu’on opprime, comme une haute admiration à tout ce qui ne se laisse pas opprimer.

Aussi, lorsque Henri, espérant que sa cousine ne résisterait pas à l’entraînement de la première ritournelle, vint, malgré sa réponse, l’inviter à danser comme d’habitude la première contredanse avec lui, Sara se contenta cette fois de lui répondre :

— Vous savez que je ne danse pas ce soir, mon cousin.

Henri se mordit les lèvres jusqu’au sang, et par un mouvement instinctif, chercha des yeux Georges. Georges avait pris place et dansait avec l’Anglaise à laquelle il avait donné le bras pour la conduire à table. Par un sentiment qui n’avait cependant rien de sympathique, les yeux de Sara avaient pris la même direction que son cousin. Son cœur se serra.

Georges dansait avec une autre. Georges ne pensait peut-être pas même à Sara, qui venait cependant de lui faire un de ces sacrifices duquel, la veille encore, elle se serait crue incapable pour qui que ce fût au monde. Le temps que dura cette contredanse fut un des moments les plus douloureux que Sara eût encore passés.

La contredanse finie, Sara, malgré elle, ne put s’empêcher de suivre des yeux Georges. Il alla reconduire l’Anglaise à sa place, puis parut chercher quelqu’un des yeux. Celui qu’il cherchait était lord Murrey. À peine l’eut-il aperçu, qu’il alla à lui, qu’il lui dit quelques mots, et que tous deux s’avancèrent vers Sara.

Sara sentit tout son sang se porter vers son cœur.