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femmes appartenant aux familles les plus considérables de l’île. Puis, à droite et à gauche de ces deux dames, messieurs de Malmédie père et fils, et ainsi de suite ; quant à Georges, soit hasard, soit gracieuse prévoyance de lord Murrey, il était placé entre deux Anglaises.

Sara respira : elle savait que le préjugé qui poursuivait Georges n’avait pas d’influence sur l’esprit des étrangers, et qu’il fallait qu’un habitant de la métropole fût resté longtemps aux colonies pour arriver à le partager ; aussi vit-elle Georges remplissant de la façon la plus dégagée son rôle de galant convive, entre le sourire croisé des deux compatriotes de lord Murrey, enchantées d’avoir trouvé un voisin qui parlait leur langue comme si lui-même fût né en Angleterre.

En ramenant ses regards vers le centre de la table, Sara s’aperçut que les yeux de Henri étaient fixés sur elle. Elle comprit parfaitement ce qui pouvait se passer dans l’esprit de son fiancé, et, par un mouvement indépendant de sa volonté, elle baissa les siens en rougissant.

Lord Murrey était un grand seigneur dans toute la force du terme, sachant admirablement jouer ce rôle de maître de maison, si difficile à apprendre lorsqu’on ne le remplit pas instinctivement et, pour ainsi dire, de naissance : aussi, lorsque la contrainte et la gêne qui pèsent ordinairement sur le premier service d’un dîner d’apparat furent dissipés, commença-t-il à adresser la parole à ses convives, parlant à chacun de la spécialité qui pouvait lui fournir les plus faciles réponses, rappelant aux officiers anglais quelque belle bataille, aux négociants quelque haute spéculation, puis, au milieu de tout cela, jetant de temps en temps à Georges un mot qui prouvait qu’à lui il pouvait parler de toute chose, et que c’était à une généralité intellectuelle, et non à une spécialité commerciale ou guerrière qu’il s’adressait.

Le dîner se passa ainsi. Quoique d’une modestie parfaite, Georges, avec sa rapide intelligence, avait répondu à chaque mot, à chaque question du gouverneur, de manière à prouver aux officiers qu’il avait fait la guerre comme eux, et aux négociants qu’il n’était point resté étranger aux grands intérêts commerciaux, qui font du monde entier une seule famille, unie par le lien des intérêts ; puis, au milieu de cette conver-