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alors songé qu’il allait venir, et que, comme on l’annoncerait, sans doute, elle apprendrait ainsi, et sans faire de question, son nom, et qui il était.

Les prévisions de Sara s’étaient accomplies. À peine, comme nous l’avons vu, avait-elle pris place dans le cercle des femmes, et messieurs de Malmédie s’étaient-ils mêlés au groupe des hommes, qu’on avait annoncé monsieur Georges Munier.

À ce nom si connu dans l’île, mais qu’on n’était pas habitué à entendre prononcer en pareille circonstance, Sara avait pressentimentalement tressailli et s’était retournée pleine d’anxiété. En effet, elle avait vu apparaître le jeune étranger de Port-Louis, avec sa démarche ferme, son front calme, son regard hautain, ses lèvres dédaigneusement relevées, et, hâtons-nous de le dire, à cette troisième apparition, il lui avait semblé encore plus beau et plus poétique qu’aux deux premières.

Alors, elle avait suivi non-seulement des yeux, mais encore du cœur, la présentation que lord Murrey avait faite de Georges à la société, et son cœur s’était serré quand la répulsion inspirée par la naissance du jeune mulâtre s’était traduite par le silence ; et c’étaient presque voilés de larmes que ses yeux avaient répondu au regard rapide et pénétrant que Georges avait jeté sur elle.

Puis lord Murrey lui avait offert le bras, et elle n’avait plus rien vu ; car, sous le regard de Georges, elle s’était sentie rougir et pâlir presque en même temps ; et, convaincue que tous les yeux étaient fixés sur elle, elle s’était empressée de se dérober momentanément à la curiosité générale. Sur ce point, Sara se trompait : personne n’avait songé à elle, car tout le monde, excepté monsieur de Malmédie et son fils, ignorait les deux événements qui avaient précédemment mis en contact le jeune homme et la jeune fille, et nul ne pouvait penser qu’il dût y avoir quelque chose de commun entre mademoiselle Sara de Malmédie et monsieur Georges Munier.

Une fois à table, Sara se hasarda de jeter les yeux autour d’elle. Elle était assise à la droite du gouverneur, qui avait à sa gauche la femme du commandant militaire de l’île ; en face d’elle était ce commandant, placé lui-même entre deux