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En effet, atteint d’une double blessure, l’animal avait aussitôt tourné sur lui-même comme pour chercher l’ennemi invisible qui venait de le frapper ; alors, apercevant le nègre qui n’était plus qu’à trois ou quatre brassées de distance, il abandonna Sara pour se lancer sur lui, mais à son approche le nègre plongea et disparut sous l’eau. Le requin s’y enfonça à son tour ; bientôt la mer s’agita par tous les battements de queue du monstre, la surface de l’eau se teignit de sang, et il devint évident qu’une lutte s’accomplissait dans les profondeurs des flots.

Pendant ce temps, mamie Henriette était descendue ou plutôt s’était laissée glisser de son rocher, et était arrivée sur le rivage, pour tendre la main a Sara, qui sans force et ne pouvant croire encore qu’elle eût bien réellement échappé à un pareil danger, n’eut pas plutôt touché la terre, qu’elle tomba sur ses deux genoux. Quant à mamie Henriette, à peine vit-elle son élève en sûreté, que les forces lui manquant à son tour, elle tomba presque évanouie.

Lorsque les deux femmes revinrent à elles, la première chose qui les frappa, fut Laïza debout, couvert de sang, le bras et la cuisse déchirés, tandis que le cadavre du requin flottait à la surface de la mer.

Puis toutes deux en même temps et par un mouvement spontané portèrent les yeux vers le rocher sur lequel était apparu l’ange libérateur. Le rocher était solitaire : l’ange libérateur avait disparu, mais pas si vite cependant que toutes deux n’eussent eu le temps de le reconnaître pour le jeune étranger du Port-Louis.

Sara alors se retourna vers le nègre, qui venait de lui donner une si grande preuve de dévouement. Mais après un instant de muette contemplation, le nègre s’était rejeté dans le bois, et Sara chercha vainement autour d’elle ; comme l’étranger, le nègre avait disparu.