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une assez grande étendue de terrain, elle s’assit donc ; et, après avoir, quoique sans espoir de succès, invité Sara à s’asseoir auprès d’elle, elle regarda la légère jeune fille s’éloigner d’elle en bondissant ; et, tirant de sa poche le dix ou douzième volume de Clarisse Harlowe, son roman favori, elle se mit à le relire pour la vingtième fois.

Quant à Sara, elle continua de longer le bord de la baie, et disparut bientôt derrière une énorme touffe de bambous : c’était là que l’attendait la mulâtresse avec son costume de bain.

La jeune fille s’avança jusqu’au bord de la rivière, sauta de rochers en rochers, semblable à une bergeronnette qui se mire dans l’eau ; puis, après s’être assurée, avec la craintive pudeur d’une nymphe antique, que tout était bien désert autour d’elle, elle commença à laisser tomber, les uns après les autres, tous ses vêtements, pour revêtir une tunique de laine blanche qui, serrée autour du cou et au-dessous du sein et descendant au delà du genou, lui laissait les bras et les jambes nues, et par conséquent libres de leur mouvement. Ainsi, debout et revêtue de ce costume, la jeune fille semblait la Diane chasseresse prête à descendre dans son bain.

Sara s’avança vers l’extrémité d’un rocher qui dominait la baie, à un endroit où elle a une grande profondeur ; puis, hardie et confiante dans son adresse et dans sa force, certaine de sa supériorité sur un élément dans lequel en quelque sorte, comme Vénus, elle était née, elle s’élança, disparut dans l’eau, et reparut, nageant à quelques pas de l’endroit où elle s’était précipitée.

Tout à coup, mamie Henriette s’entendit appeler ; elle leva la tête, chercha quelque temps autour d’elle, puis enfin, dirigée par un second appel, ses yeux se portèrent vers la belle baigneuse, et, au milieu de la baie, elle vit son ondine qui glissait à la surface de l’eau. Le premier mouvement de la pauvre gouvernante fut de rappeler Sara, mais, comme elle savait que ce serait peine perdue, elle se contenta de faire à son élève un geste de reproche, et, se levant, elle se rapprocha du bord de la rivière autant que le permettait l’escarpement du rocher sur lequel elle était assise.

En ce moment, d’ailleurs, son attention fut momentanément