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comme une ondine, glisser à la surface de l’eau ou disparaître momentanément dans ses profondeurs, son pauvre cœur, presque maternel, se serrait de terreur, et elle ressemblait à ces malheureuses poules à qui on fait couver des cygnes, et qui, en voyant leur progéniture adoptive s’élancer à l’eau, restent au bord du rivage, ne comprenant rien à tant de hardiesse, et gloussant tristement pour rappeler les téméraires qui s’exposent à un pareil danger.

Aussi mamie Henriette, quoique portée pour le moment dans un palanquin bien doux et bien sûr, n’en était-elle pas moins préoccupée par avance des mille angoisses que, selon son habitude, Sara n’allait pas manquer de lui faire éprouver, tandis que la jeune fille s’exaltait à l’idée de ces deux jours de bonheur.

Il faut dire aussi que la matinée était magnifique. C’était une de ces belles journées du commencement de l’automne, — car le mois de mai, notre printemps à nous, est l’automne de l’Île de France, — où la nature, prête à se couvrir d’un voile de pluie, fait les plus doux adieux au soleil. À mesure qu’on avançait, le paysage devenait plus agreste : on traversait, sur des ponts dont la fragilité faisait trembler mamie Henriette, la double source de la rivière du Rempart, et les cascades de la rivière du Tamarin. Arrivée au pied de la montagne des Trois-Mamelles, Sara s’informa de son père et de son cousin, et elle apprit qu’ils chassaient en ce moment avec leurs amis entre le grand bassin et la plaine de Saint-Pierre. Enfin on franchit la petite rivière du Boucaut, on tourna le morne de la grande rivière Noire, et l’on se trouva en face de l’habitation de monsieur de Malmédie.

Sara commença par faire une visite aux commensaux de la maison qu’elle n’avait pas vus depuis quinze jours, puis elle alla dire bonjour à sa volière, immense treillis de fils de fer qui enveloppait un buisson tout entier, et dans laquelle étaient enfermés ensemble des tourterelles de Guida, des figuiers bleus et gris, des fondi-jala et des gobe-mouches. Puis de là elle passa à ses fleurs, presque toutes originaires de la métropole ; c’étaient des tubéreuses, des œillets de Chine, des anémones, des renoncules et des roses de l’Inde, au milieu desquelles s’élevait, comme la reine des tropiques, la belle