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à tous les autres instruments, fût la harpe malgache, dont elle tirait des sons qui ravissaient les virtuoses madécasses les plus célèbres dans l’île.

Cependant tous ces progrès se faisaient sans que Sara perdît rien de son individualité, et sans que cette nature primitive se modifiât en aucune façon. De son côté miss Henriette restait telle que Dieu et l’éducation l’avaient faite ; de sorte que ces deux natures si différentes vécurent côte à côte, sans jamais se rien céder l’une à l’autre. Néanmoins, comme toutes deux, dans des expressions diverses, étaient douées d’excellentes qualités, mamie Henriette finit par concevoir un profond attachement pour son élève, et Sara se prit, de son côté, d’une vive amitié pour sa gouvernante. Le signe de cette affection mutuelle fut que l’institutrice appela Sara mon enfant, et que Sara, trouvant la dénomination de miss ou de mademoiselle bien froide pour le sentiment qu’elle portait à son institutrice, inventa pour elle l’appellation plus affectueuse de mamie Henriette.

Mais c’était surtout à l’endroit des exercices du corps que mamie Henriette avait conservé son antipathique réserve. En effet, son éducation toute scolastique n’avait développé que ses facultés morales, laissant à ses facultés physiques toute leur gaucherie native ; aussi quelques instances qu’eût pu lui faire Sara, mamie Henriette n’avait jamais voulu monter à cheval, même sur Berloque, paisible porte-choux javanais qui appartenait au jardinier. Les chemins étroits lui donnaient de tels vertiges qu’elle avait souvent préféré faire un détour d’une ou deux lieues que de passer près d’un précipice. Enfin, ce n’était jamais sans un profond serrement de cœur qu’elle s’aventurait sur une barque ; et à peine y était-elle assise, et la susdite barque se mettait-elle en mouvement, que la pauvre gouvernante prétendait être reprise du mal de mer, qui ne l’avait pas quitté un instant pendant toute la traversée de Portsmouth au Port-Louis, c’est-à-dire pendant plus de quatre mois. Il en résultait que la vie de mamie Henriette se passait, à l’égard de Sara, en appréhensions éternelles, et que quand elle la voyait, hardie comme une amazone, monter les chevaux de son cousin ; quand elle la voyait, légère comme une biche, bondir de rocher en rocher ; quand elle la voyait, gracieuse