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distinguée et digne des plus grands égards. Monsieur de Malmédie la reçut en conséquence et la chargea de l’éducation de sa fille Sara, alors âgée de neuf ans.

La première question de miss Henriette fut de demander à monsieur de Malmédie quelle était l’éducation qu’il désirait que sa nièce reçût. M. de Malmédie répondit que cela ne le regardait pas le moins du monde, qu’il avait fait venir une institutrice pour se débarrasser de ce soin, et que c’était à elle, qu’on lui avait recommandée comme une personne fort savante, d’apprendre à Sara ce qu’elle savait ; il ajouta seulement, en manière de post-scriptum, que la jeune fille étant destinée, de toute éternité et sans restriction, à devenir l’épouse de son cousin Henri, il était important qu’elle ne prît d’affection pour aucun autre. Cette décision de monsieur de Malmédie à l’égard de l’union future de son fils et de sa nièce tenait non-seulement à l’affection qu’il avait pour tous deux, mais encore à ce que Sara, orpheline à l’âge de trois ans, avait hérité de près d’un million, somme qui devait se doubler pendant la tutelle de monsieur de Malmédie.

Sara eut d’abord grand’peur de cette institutrice, qu’on lui faisait venir d’outre-mer, et, à la première vue, l’aspect de miss Henriette, il faut le dire, ne la rassura point beaucoup. En effet, c’était alors une grande fille de trente à trente-deux ans, à laquelle l’exercice du pensionnat avait donné cet abord sec et pincé, apanage habituel des institutrices ; son œil froid, son teint pâle, ses lèvres minces avaient quelque chose d’automatique qui étonnait, et dont ses cheveux, d’un blond un peu ardent, avaient grand’peine à réchauffer le glacial ensemble. Habillée, serrée, coiffée dès le matin, Sara ne l’avait jamais vue une seule fois en négligé, et elle fut longtemps à croire que, le soir, miss Henriette, au lieu de se coucher dans un lit comme le commun des mortels, s’accrochait dans une garde-robe, comme ses poupées, et en sortait le lendemain comme elle y était entrée la veille. Il en résulta que, dans les premiers temps, Sara obéit assez ponctuellement à sa gouvernante, et apprit un peu d’anglais et d’italien. Quant à la musique, Sara était organisée comme un rossignol, et elle jouait presque naturellement du piano et de la guitare, quoique son instrument favori, quoique l’instrument qu’elle préférait