Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux Port-Louis, qui est si triste. Oh ! des bals surtout ! s’il pouvait donner des bals !

— Vous aimez donc bien la danse, mon enfant ?

— Oh ! si je l’aime ! s’écria la jeune fille.

Mamie Henriette sourit.

— Y a-t-il donc aussi du mal à aimer la danse ? demanda Sara.

— Il y a du mal, Sara, à faire toutes choses comme vous les faites, avec passion.

— Que veux-tu, chère bonne, dit Sara d’un petit air câlin plein de charmes qu’elle savait prendre dans l’occasion, je suis ainsi faite : j’aime ou je hais, et je ne sais cacher ni ma haine ni mon amour. Ne m’as-tu pas dit souvent que la dissimulation était un vilain défaut ?

— Sans doute ; mais entre dissimuler ses sensations et s’abandonner sans cesse à ses désirs, je dirai presque à son instinct, répondit la grave Anglaise, que les raisonnements primesautiers de son élève embarrassaient quelquefois autant que les élans de sa nature primitive l’inquiétaient en d’autres moments, il y a une grande différence.

— Oui, je sais que vous m’avez souvent dit cela, mamie Henriette. Je sais que les femmes d’Europe, celles qu’on appelle les femmes comme il faut, du moins, ont trouvé un admirable milieu entre la franchise et la dissimulation : c’est le silence de la voix et l’immobilité de la physionomie. Mais, pour moi, chère bonne, il ne faut pas être trop exigeante ; je ne suis pas une femme civilisée, je suis une petite sauvage, élevée au milieu des grands bois et au bord des grandes rivières. Si ce que je vois me plaît, je le désire, et si je le désire, je le veux. Puis on m’a un peu gâtée, vois-tu, mamie Henriette, et toi comme les autres ; cela m’a rendue volontaire. Quand j’ai demandé, on m’a donné presque toujours ; et quand on m’a refusé par hasard, j’ai pris, et on m’a laissé prendre.

— Et comment cela s’arrangera-t-il, lorsque, avec ce beau caractère, vous serez la femme de M. Henri ?

— Oh ! Henri est un bon garçon ; il est déjà convenu entre nous, dit Sara avec la plus parfaite innocence, que je lui laisserai faire ce qu’il voudra, et que moi je ferai que ce je vou-