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Oui, répondit Catherine. Vous le connaissez donc ? — Je ne le connais pas, fit Pitou ; mais je l’ai deviné.

En effet, Pitou avait pu deviner monsieur de Charny dans ce jeune homme, d’après ce que lui avait dit Catherine la veille.

Celui qui avait salué la jeune fille était un élégant gentilhomme de vingt-trois ou vingt-quatre ans, beau, bien pris dans sa taille, élégant de forme et gracieux de mouvements, comme ont l’habitude d’être ceux qu’une éducation aristocratique a pris au berceau. Tous ces exercices du corps qu’on ne fait bien qu’à la condition qu’on les aura étudiés dès l’enfance, monsieur Isidore de Charny les exécutait avec une perfection remarquable ; en outre, il était de ceux dont le costume s’harmonise toujours à merveille avec l’exercice auquel il est destiné. Ses livrées de chasse étaient citées pour leur goût parfait ; ses négligés de salle d’armes auraient pu servir de modèles à Saint-Georges lui-même ; enfin, ses habits de cheval étaient ou plutôt paraissaient, grâce à sa façon de les porter, d’une coupe toute particulière.

Ce jour-là, monsieur de Charny, frère cadet de notre ancienne connaissance le comte de Charny, coiffé avec tout le négligé d’une toilette du matin, était vêtu d’une espèce de pantalon collant, couleur claire, qui faisait valoir la forme de ses cuisses et de ses jambes, à la fois fines et musculeuses ; d’élégantes sandales de paume, retenues par des courroies, remplaçaient momentanément ou le soulier à talon rouge ou la botte à retroussis ; une veste de piqué blanc serrait sa taille comme si elle eût été prise dans un corset ; enfin, sur le talus, son domestique tenait un habit vert à galons d’or.

L’animation lui donnait en ce moment tout le charme et toute la fraîcheur de la jeunesse que, malgré ses vingt-trois ans, les veilles prolongées, les débauches nocturnes et les parties de jeu qu’éclaire en se levant le soleil, lui avaient fait perdre.

Aucun des avantages qui sans doute avaient été remarqués par la jeune fille, n’échappa à Pitou. En voyant les pieds et les mains de monsieur de Charny, il commença à être moins fier de cette prodigalité de la nature qui lui avait donné à lui la victoire sur le fils du cordonnier, et il songea que cette même nature aurait pu répartir d’une façon plus habile sur toutes les parties de son corps les éléments dont il était composé.

En effet, avec ce qu’il y avait de trop aux pieds, aux mains et aux genoux de Pitou, la nature aurait eu de quoi lui faire une fort jolie jambe. Seulement les choses n’étaient point à leur place : où il y avait besoin de finesse, il y avait engorgement, et où il fallait rebondissement, il y avait vide.