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— Nous marchons bien lentement, dit-il, mais il me semble que nous marchons encore trop vite pour tout ce qu’il y a aujourd’hui à voir. — Sire, dit monsieur de Beauvau, vous faites cependant, au pas que Votre Majesté marche, une lieue en trois heures. Il est difficile d’aller plus lentement.

En effet, les chevaux s’arrêtaient à chaque instant ; des échanges de harangues et de répliques avaient lieu ; les gardes nationaux fraternisaient, on venait de trouver le mot, avec les gardes du corps de Sa Majesté.

— Ah ! se disait Gilbert, qui contemplait en philosophe ce curieux spectacle, si l’on fraternise avec les gardes du corps, c’est donc qu’avant d’être des amis ils étaient des ennemis ? — Dites donc, monsieur Gilbert, dit Billot à demi voix, je l’ai joliment regardé le roi, je l’ai joliment écouté. Eh bien ! mon avis est que le roi est un brave homme.

Et l’enthousiasme qui animait Billot fit qu’il accentua ces derniers mots de telle façon que le roi et l’état-major les entendît.

L’état-major se mit à rire.

Le roi sourit ; puis, avec un mouvement de tête :

— Voilà un éloge qui me plaît, dit-il.

Ces mots furent prononcés assez haut pour que Billot les entendît.

— Oh ! vous avez raison, sire, car je ne le donne pas à tout le monde, répliqua Billot, entrant de plain-pied dans la conversation avec son roi, comme Michaud avec Henri IV. — Ce qui me flatte d’autant plus, dit le roi fort embarrassé et ne sachant comment faire pour garder la dignité de roi en parlant gracieusement comme bon patriote.

Hélas ! le pauvre prince, il n’était pas encore accoutumé à s’appeler le roi des Français. Il croyait s’appeler encore le roi de France.

Billot, transporté d’aise, ne se donna pas la peine de réfléchir si Louis, au point de vue philosophique, venait d’abdiquer le titre de roi pour prendre le titre d’homme ; Billot, qui sentait combien ce langage se rapprochait de la bonhomie rustique, Billot s’applaudissait de comprendre un roi et d’en être compris.

Aussi, à partir de ce moment, Billot ne cessa pas de s’enthousiasmer de plus en plus. Il buvait dans les traits du roi, selon l’expression virgilienne, un long amour de la royauté constitutionnelle, et le communiquait à Pitou, lequel, trop plein de son propre amour et du superflu de l’amour de Billot, répandait le tout au dehors, en cris puissants d’abord, puis glapissants, puis vagues de :

— Vive le roi ! vive le père du peuple !

Cette modification dans la voix de Pitou s’opérait au fur et à mesure qu’il s’enrouait.