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ange pitou.

la couverture de son pupitre, pour voir si tous les hôtes qu’il contenait étaient bien au complet, et l’enlevant avec un soin qui prouvait toute sa sollicitude pour ces élèves, il reprit d’un pas lent et mesuré le chemin du corridor.

Au haut de l’escalier était l’abbé Fortier, le bras tendu, montrant l’escalier du bout de son martinet.

Il fallait passer sous les Fourches-Caudines ; Ange Pitou se fit aussi humble et aussi petit qu’il se pût faire. Ce qui n’empêcha point qu’il ne reçût au passage une dernière sanglée de l’instrument auquel l’abbé Fortier avait dû ses meilleurs élèves, et dont l’emploi, quoique plus fréquent et plus prolongé sur Ange Pitou que sur aucun autre, avait eu, comme on le voit, un si médiocre résultat.

Tandis qu’Ange Pitou, en essuyant une dernière larme, s’achemine, son pupitre sur la tête, vers le Pleux, quartier de la ville où demeure sa tante, disons quelques mots de son physique et de ses antécédents.


II

OÙ IL EST PROUVÉ QU’UNE TANTE N’EST PAS TOUJOURS UNE MÈRE


Louis-Ange Pitou, comme il l’avait dit lui-même dans son dialogue avec l’abbé Fortier, avait, à l’époque où s’ouvre cette histoire, dix-sept ans et demi. C’était un long et mince garçon, aux cheveux jaunes, aux joues rouges, aux yeux bleu faïence. La fleur de la jeunesse fraîche et innocente s’élargissait sur sa large bouche, dont les grosses lèvres découvraient, en se fendant outre mesure, deux rangées parfaitement complètes de dents formidables pour ceux dont elles étaient destinées à partager le dîner. Au bout de ses longs bras osseux pendaient, solidement attachées, des mains larges comme des battoirs ; des jambes passablement arquées, des genoux gros comme des têtes d’enfant, qui faisaient éclater son étroite culotte noire, des pieds immenses et cependant à l’aise dans des souliers de veau rougis par l’usage : tel était, avec une espèce de souquenille de serge brune, tenant le milieu entre la vareuse et la blouse, le signalement exact et impartial de l’ex-disciple de l’abbé Fortier.

Il nous reste à esquisser le moral.

Ange Pitou était resté orphelin à l’âge de douze ans, époque à laquelle il avait eu le malheur de perdre sa mère dont il était le fils unique. Cela veut dire que, depuis la mort de son père, qui avait eu lieu avant qu’il