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ADÈLE.

Moi !… moi !… il s’agit bien de moi… Mais qu’a-t-il enfin ?… Qu’avez vous fait ?

OLIVIER.

Les termes scientifiques vous effraieront peut-être ?

ADÈLE.

Oh ! non, non pourvu que je sache !… Vous comprenez ; il m’a sauvé la vie… c’est tout simple…

OLIVIER, avec quelque étonnement.

Oui, sans doute, madame… Eh bien ! le timon, en l’atteignant, a causé une forte contusion au côté droit de la poitrine. La violence du coup a amené l’évanouissement ; j’ai opéré à l’instant une saignée abondante… et maintenant du repos et de la tranquillité feront le reste… Mais il ne pouvait rester dans le vestibule, entouré de domestiques, de curieux ; j’ai donné en votre nom l’ordre qu’on le transportât ici.

ADÈLE.

Ici !… Était-il donc trop faible pour être conduit chez lui ?…

OLIVIER.

Il n’y aurait eu à cela aucun inconvénient, à moins que l’appareil ne se dérangeât ; mais j’ai pensé qu’une reconnaissance, que vous paraissez si bien sentir, avait besoin de lui être exprimée…

ADÈLE.

Oui, certes. — (Bas.) Et s’il allait parler, si mon nom prononcé par lui… — (Haut.) Oui, oui, sans doute, vous avez bien fait… Mais il faut qu’il soit seul, n’est-ce pas… tout à fait seul quand il ouvrira les yeux ? Vous-même passerez dans une autre chambre, car la vue d’un étranger…

OLIVIER.

Mais cependant…

ADÈLE.

Eh ! vous avez dit que la moindre émotion lui serait funeste… vous l’avez dit, ou du moins je le crois, n’est-ce pas ?

OLIVIER, la regardant.

Oui, madame… je l’ai dit… c’est nécessaire… mais cette précaution n’est pas pour moi… pour moi médecin.

ADÈLE.

Le voilà… Écoutez, je vous prie… dites qu’il a besoin d’être seul… que c’est vous qui ordonnez que personne ne reste près de lui. — (Clara entre avec des domestiques portant Antony.) Déposez-le sur ce sofa… Clara, M. Olivier dit qu’il faut laisser le malade seul… que nous devons sortir tous… Vous voyez, docteur, que je donne l’exemple… Clara, tu tiendras compagnie à M. Olivier ; moi je vais donner quelques ordres… Clara. — (Adèle sort.)

OLIVIER, à Clara.

Pardon, je m’assurais… Le pouls recommence à battre ;… me voici. — (Ils sortent.

(Antony reste seul un instant, puis une petite porte se rouvre,
et Adèle entre avec précaution.)
ADÈLE.

Il est seul enfin… Antony… Voilà donc comme je devais le revoir… pâle, mourant… La dernière fois que je le vis… il était aussi près de moi… plein d’existence, calculant pour tous deux un même avenir… Quinze jours d’absence, disait-il, et une réunion éternelle… et en partant il pressait ma main sur son cœur… Vois comme il bat, disait-il ; eh bien ! c’est de joie, c’est d’espérance. Il part, et trois ans, minute par minute, jour par jour, s’écoulent lentement séparés… Il est là près de moi… comme il y était alors… c’est bien lui… c’est bien moi… rien n’est changé en apparence, seulement son cœur bat à peine, et notre amour est un crime, Antony !…

(Elle laisse tomber sa tête entre ses mains : Antony rouvre les yeux, voit une femme, la regarde fixement et rassemble ses idées.)
ANTONY.

Adèle ?…

ADÈLE, laissant tomber ses mains.

Ah !

ANTONY.

Adèle !

(Il fait un mouvement pour se lever.)
ADÈLE.

Oh ! restez, restez… vous êtes blessé, et le moindre mouvement, la moindre tentative…

ANTONY.

Ah ! oui, je le sens ; en revenant à moi, en vous retrouvant près de moi, j’ai cru vous avoir quittée hier, et vous revoir aujourd’hui. Qu’ai-je donc fait des trois ans qui se sont passés ? trois ans, et pas un souvenir !

ADÈLE.

Oh ! ne parlez pas.

ANTONY.

Je me rappelle maintenant, je vous ai revue pâle, effrayée… J’ai entendu vos cris, une voiture, des chevaux… je me suis jeté au-devant… Puis tout a disparu dans un nuage de sang, et j’ai espéré être tué…

ADÈLE.

Vous n’êtes que peu dangereusement blessé, monsieur, et bientôt, j’espère…

ANTONY.

Monsieur… Oh ! malheur à moi, car ma mémoire revient… Monsieur… eh bien, moi aussi, je dirai madame ; je désapprendrai le nom d’Adèle pour