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de la personne qui a eu le bonheur de lui plaire. Dans trois mois vienne un jeune et bel avocat, et elle donnera des consultations, comme elle traçait des plans de bataille, comme elle vient de te prescrire un régime.

ADÈLE.

Et qui vous a conté tout cela, belle provinciale arrivée depuis quinze jours ?

CLARA.

Est-ce que je ne la connaissais pas avant de quitter Paris ; et puis Madame de Camps est venue hier pendant que tu n’y étais pas, elle m’a fait la biographie de La vicomtesse.

ADÈLE.

Oh ! que je suis aise de ne pas m’être trouvée chez moi ! Cette femme me fait mal avec ses éternelles calomnies.

CLARA, à un domestique qui entre.

Qu’y a-t-il ?

LE DOMESTIQUE.

Une lettre.

CLARA, la prenant.

Pour moi, ou pour ma sœur ?

LE DOMESTIQUE.

Pour madame la baronne.

ADÈLE.

Donne… C’est sans doute de mon mari.

(Le domestique sort.)
CLARA, la lui remettant.

Ce n’est point son écriture ; d’ailleurs elle est timbrée de Paris, et le colonel est à Strasbourg.

ADÈLE, regardant le cachet, puis l’écriture.

Dieu !

CLARA.

Qu’as-tu donc ?

ADÈLE.

J’espérais ne revoir jamais ni ce cachet ni cette écriture.

(Elle s’assied et froisse la lettre entre ses mains.)
CLARA.

Adèle… calme-toi… Tu es toute tremblante !… Et de qui est donc cette lettre ?

ADÈLE.

Oh ! c’est de lui… c’est de lui…

CLARA, cherchant.

De lui…

ADÈLE.

Voilà bien sa devise, que j’avais prise aussi pour la mienne… Adesso e sempre. « Maintenant et toujours. »

CLARA.

Antony !

ADÈLE.

Oui, Antony de retour… et qui m’écrit… qui ose m’écrire…

CLARA.

Mais c’est à titre d’ancien ami, peut-être ?

ADÈLE.

Je ne crois pas à l’amitié qui suit l’amour.

CLARA.

Mais rappelle-toi, Adèle, la manière dont il est parti tout à coup, aussitôt que le colonel d’Hervey te demanda en mariage, lorsqu’il pouvait s’offrir à notre père qui lui rendait justice… jeune, paraissant riche… aimé de toi… car tu l’aimais… il pouvait espérer d’obtenir la préférence… mais point du tout, il part, te demandant quinze jours seulement… le délai expire… on n’entend plus parler de lui, et trois ans se passent sans qu’on sache en quel lieu de la terre l’a conduit son caractère inquiet et aventureux… Si ce n’est une preuve d’indifférence, c’en est au moins une de légèreté.

ADÈLE.

Antony n’était ni léger ni indifférent… il m’aimait autant qu’un cœur profond et fier peut aimer ; et, s’il est parti, c’est qu’il y avait sans doute, pour qu’il restât, des obstacles qu’une volonté humaine ne pouvait surmonter… Oh ! si tu l’avais suivi comme moi au milieu du monde, où il semblait étranger, parce qu’il lui était supérieur, si tu l’avais vu triste et sévère au milieu de ces jeunes fous, élégants et nuls… si, au milieu de ces regards qui le soir nous entourent, joyeux et pétillants… tu avais vu ses yeux constamment arrêtés sur toi, fixes et sombres, tu aurais deviné que l’amour qu’ils exprimaient ne se laissait pas abattre par quelques difficultés… et, lorsqu’il serait parti… tu te serais dit la première : C’est qu’il était impossible qu’il restât.

CLARA.

Mais peut-être que cet amour, après trois ans d’absence…

ADÈLE.

Regarde comme sa main tremblait en écrivant cette adresse…

CLARA.

Oh ! moi, je suis sûre que nous n’allons retrouver qu’un ami bien dévoué… bien sincère…

ADÈLE.

Eh bien ! ouvre donc cette lettre, alors… car moi, je ne l’ose pas…

CLARA, lisant.

« Madame… » tu vois, madame…

ADÈLE, vivement.

Il n’a jamais eu le droit de me donner un autre nom.

CLARA, lisant.

« Madame, sera-t-il permis à un ancien ami, dont vous avez peut-être oublié jusqu’au nom, de déposer à vos pieds ses hommages respec-