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Scène V.

 

KEAN, KETTY.
KEAN, allant à Ketty et l’embrassant.

Ketty !

KETTY.

Oh ! monsieur Kean, vous ne m’avez donc pas tout à fait oubliée ?

KEAN.

Et toi, Ketty, tu te souviens donc toujours du pauvre bateleur David, quoiqu’il ait changé de nom, et qu’il s’appelle maintenant Edmond Kean ?

KETTY.

Oh ! toujours.

KEAN.

Et qu’as-tu fait, mon enfant, depuis que je ne t’ai vue ?

KETTY.

J’ai pensé au temps où j’étais heureuse.

KEAN.

Eh bien ! ma pauvre Ketty, je veux que ce temps-là revienne pour toi.

KETTY, tristement.

Impossible, monsieur Kean.

KEAN.

Tu aimes quelqu’un sans doute, voyons ?

KETTY, baissant les yeux.

Je n’aime personne.

KEAN.

Mais enfin si la chose arrivait jamais, et que quelques centaines de guinées fussent nécessaires à ton établissement, viens me trouver, mon enfant, et je me charge de la dot.

KETTY, pleurant.

Je ne me marierai jamais, monsieur Kean.

KEAN.

Tiens, pardonne-moi, Ketty, je suis un imbécile. (À Pistol qui entre.) Eh bien, Pistol, et le vieux Bob, vient-il ?


Scène VI.

 

Les précédents ; PISTOL.
PISTOL.

Oh ! oui, le vieux Bob, il est dans son lit.

KETTY.

Dans son lit !

KEAN.

Comment cela ?

PISTOL.

En voilà un guignon… imaginez-vous, monsieur Kean… là, qu’il était descendu dans la rue… il était superbe, quoi, il avait son chapeau gris, son carrick pistache et son grand col de chemise qui lui guillotine les oreilles, vous savez… nous nous mettons en route, il fait quatre pas… Oh ! dit-il, j’ai oublié ma trompette… Bah ! qu’est-ce que vous voulez faire de votre trompette ? que je lui réponds. Je veux leur en jouer un petit air au dessert, ça les distraira… Est-ce qu’ils ne connaissent pas tous vos airs ? gardez votre respiration pour une autre circonstance, allez… Veux-tu courir me chercher mon instrument, et sans raisonner, drôle !… Ah ! tiens, je ne sais pas où elle est, votre instrument, allez la chercher vous-même… Vous savez, il est vif le père Bob… je n’avais pas fini qu’il m’allonge un coup de pied… heureusement que je connais ses tics, et que je ne le perds jamais de vue quand nous causons ensemble.

KEAN.

Eh bien ! tu l’as reçu… voilà tout.

PISTOL.

Et non, voilà le malheur, j’ai fait un saut de côté.

KEAN.

Alors tu ne l’as pas reçu, tant mieux !

PISTOL.

Non, je ne l’ai pas reçu, mais comme il s’attendait à trouver de la résistance… quelque chose au bout de son pied, pauvre cher homme ! et qu’il n’y a rien trouvé, il a perdu l’équilibre et est tombé à la renverse !

KETTY.

Oh ! mon Dieu !

PISTOL.

Tiens, ne m’en parle pas, j’aimerais mieux avoir reçu vingt-cinq coups de pied où il visait, que d’être cause d’un malheur comme celui qui lui est arrivé.

KETTY.

S’est-il blessé, mon Dieu ?

PISTOL, pleurant.

On croit qu’il s’est démis l’épaule.

KEAN.

Et l’on a envoyé chercher un médecin ?

PISTOL.

Oui… oui…

KEAN.

Et qu’a-t-il dit ?

PISTOL.

Il a dit qu’il en avait au moins pour six semaines sans bouger de son lit, et pendant ce temps-là toute la troupe se serrera le ventre, voyez-vous, parce que la trompette du père Bob, elle est connue comme l’enseigne de M. Peter. Eh bien ! si demain il ôtait son enseigne, on croirait qu’il a fait banqueroute, et personne n’entrerait plus.

KEAN.

Il n’y a pas d’autre malheur que ça ?