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tous vos rêves. Vous vous êtes assise sous l’arbre de l’orgueil, Teresina, vous vous êtes endormie sous son ombre : c’est celle du mancenillier.

TERESINA, mettant ses mains sur ses oreilles.

Taisez-vous, taisez-vous ! Vos paroles vibrent dans ma poitrine, comme si elles étaient celles du mauvais esprit…

DON JUAN, jouant avec le collier et le faisant étinceler à ses yeux.

Vous ne les avez portés qu’un instant : eh bien, avouez, n’est-ce pas, qu’ils ont bouleversé tout votre être ? n’est-ce pas qu’ils vous ont, comme une parole magique, ouvert la porte de ces jardins enchantés, aux fleurs d’émeraudes et aux fruits d’or ?… N’est-ce pas que vous avez entrevu Madrid, la ville royale, avec ses sérénades, ses fêtes, ses bals, ses spectacles, ses courses au Prado ?

TERESINA.

Oh ! Ce fut un instant de folie enivrante, Monseigneur, laissez-moi l’oublier : silence ! Silence !

DON JUAN.

Vous étiez la plus belle de ces femmes, et toutes les femmes étaient jalouses.

TERESINA.

Songe ! Songe que tout cela !

DON JUAN.

Réalité, réalité… Aime-moi seulement, Teresina, et je te bâtis sur le mot je t’aime, un palais à rendre une fée jalouse.

TERESINA.

Don Juan, je vous demande grâce !… Laissez-moi, laissez-moi…

DON JUAN.

Teresina, je vous aime ! Je vous aime comme jamais je n’aimai aucune femme, comme jamais vous ne fûtes aimée d’aucun homme. Teresina, je suis riche et puissant ; je peux faire de vous quelque chose de pareil à une reine ; Teresina, vous aurez, chaque jour de la semaine, une parure différente de celle-ci ; vous aurez des valets, des pages, des vassaux, des carrosses armoriés… Teresina, le bonheur est là, le repousseras-tu ?

TERESINA, tombant à genoux.

Mon Dieu, ayez pitié de moi ; envoyez à mon secours quelqu’un de vos anges, ou, sans cela, oh ! Mon Dieu ! Je le sens, je ne pourrai pas supporter cette lutte.

Ah !

PAQUITA, entrant et sortant aussitôt.

Señora, señora, Monseigneur Don Josès arrive… Je vais l’arrêter un instant.

TERESINA, s’arrachant des bras de Don Juan.

Oui, va, va !… Don Josès ! Oh ! Je suis sauvée !…Merci, mon Dieu, merci !


Scène V

I. Don Juan, puis le bon Ange et le mauvais Ange.

DON JUAN.

Allons, Don Juan, voici l’heure ; il s’agit de céder la place ou de la garder ; car, Dieu me pardonne ! Elle était à peu près prise… Tu as cinq minutes pour te décider.

LE BON ANGE, écartant le rideau de la Madone, à gauche du spectateur.

J’ai tant prié pour toi, le front dans la poussière
J’ai tant mouillé de pleurs mon ardente prière,
Que le Seigneur m’a dit en se voilant les yeux :
« Descends ; que ta parole en son cœur retentisse,
Et, jusqu’à ton retour, j’enchaîne ma justice,
Car je suis le Seigneur miséricordieux. »
Et me voilà, mêlant ma lumière à ton ombre,
Descendue une fois encor dans ta nuit sombre.
Veux-tu revoir le jour, suis mes pas, prends ma main,
Laisse-moi te guider par des routes nouvelles,
Et je te prêterai mes ailes
Si tes pieds sont las du chemin.
Car je ne sais encor par quel pouvoir étrange
L’homme à son sort mortel peut enchaîner un ange ;
Mais je sais que des cieux le séjour enchanté,
S’il est fermé pour toi, pour moi n’a plus de charmes,
Et que mon cœur divin contient assez de larmes
Pour pleurer un mortel pendant l’éternité.

DON JUAN, se levant.

Oui, oui, je sais bien que la chose est scabreuse, et que peut— être il vaudrait mieux pour mon salut éternel…

LE MAUVAIS ANGE, apparaissant derrière lui.

N’écoute pas, Don Juan, cette voix insensée ;
Es-tu d’âge à tourner ta joyeuse pensée
Vers ce ciel dont toujours les portes s’ouvriront ?
Ta vie en est encore à ses heures frivoles.
Tu te rappelleras ces austères paroles,
Quand sur ton front ridé tes cheveux blanchiront.
Marche, marche plutôt dans ta puissante voie,
Enivre-toi d’amour, de bonheur et de joie.
Qu’est-ce que ce bonheur que l’on dit éternel,
Près de ces voluptés dont tu sais le mystère ?
Crois-moi, les heureux de la terre,
Don Juan, sont les élus du c