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Ah !

Qui est-ce qui me parle là ? Qui me dit que j’ai mal fait ? Quel est cet ennemi qui vit en moi pour me donner des conseils contre moi ?

La conscience ? Elle est comme Don Josès, elle arrive trop tard.

Il n’est jamais trop tard pour se repentir ? Et la mort du prêtre ?…

Une pénitence de toute la vie peut l’expier ?

Et mon père qui m’appelait, et que j’ai laissé mourir sans lui répondre !

Il est déjà au ciel, où il prie pour son fils ? Donc, l’avenir m’appartient encore.

LE BON ANGE, appuyé sur le dossier de son fauteuil.

Oui, pour toi, si tu veux, commence un nouvel être :
Ton père, en expirant, t’a fait souverain maître
De ses vassaux et de ses biens,
Tandis que Don Josès, par un destin contraire,
Est pauvre… Allons, Don Juan, tends les bras à ton frère,
Et que tes trésors soient les siens.

LE MAUVAIS ANGE, sortant de terre et s’appuyant sur le dossier du fauteuil du côté opposé.

Ton frère n’a pas droit, Don Juan, à ta fortune :
C’est un bâtard jaloux, dont la vue importune
Depuis longtemps lasse tes yeux.
Étranger, de quel droit viendrait-il au partage ?
Garde à toi seul, Don Juan, un immense héritage.
Tu t’en feras des jours joyeux.

LE BON ANGE.

Du moins, pour rétablir entre vous l’équilibre,
Puisque tu l’as fait pauvre, il faut le faire libre :
Tu rempliras ainsi le désir paternel,
Et Josès, libre, heureux près de sa jeune femme,
Te dressera, Don Juan, un autel dans son âme,
Où brûlera l’encens de l’amour fraternel.

LE MAUVAIS ANGE.

Pourquoi donc d’un vassal appauvrir ton domaine ?
Laisse ton frère aller où son destin le mène ;
Ses fils de ta maison augmenteront l’honneur,
Et sa femme, à l’autel, devenant ta vassale,
Te devra le trésor de sa nuit virginale,
Dont, libre, son époux t’enlève le bonheur.

LE BON ANGE.

Mais ce n’est qu’un enfant aux flammes ingénues,
Qui, le soir, va perdant son regard dans les nues,
Demandant au flot qui bruit
Pourquoi son jeune sein s’enfle comme son onde,
Et quel est le secret des voluptés du monde
Dont elle rêve chaque nuit.


LE MAUVAIS ANGE.

Don Juan, c’est un trésor ! Crois-moi, l’Andalousie
Exprès pour tes plaisirs semble l’avoir choisie,
Avec un teint blanc et vermeil,
Avec de longs baisers, brûlants comme une flamme,
Et des regards ardents qui pénètrent dans l’âme
Comme deux rayons de soleil.

LE BON ANGE, s’éloignant.

Adieu ! Pauvre insensé qu’entraîne un mauvais songe,
De cette vie, un jour, tu sauras le mensonge,
Et tu me chercheras d’un douloureux regard ;
Et tu m’appelleras comme un vaincu sans armes,
Avec des sanglots et des larmes ;
Mais peut-être que Dieu répondra : « C’est trop tard ! »

LE MAUVAIS ANGE, s’enfonçant lentement en terre.

Adieu, noble Don Juan ! Le monde est ta conquête,
Au-dessus de ses fils tu peux lever la tête ;
Car tu n’as plus de maître, et toi seul es ton roi ;
Et, si ton cœur, lassé des voluptés paisibles,
Rêve des plaisirs impossibles,
Appelle-moi, Don Juan, je monterai vers toi.


Scène V

III. Don Juan, puis Hussein.

DON JUAN, se levant.

Holà, esclave !

HUSSEIN, entrant.

Que plaît-il à Votre Seigneurie ?

DON JUAN.

Dis à un écuyer et à douze hommes d’armes de venir me rejoindre à la maison du parc, où j’ai, ce matin, un rendez-vous avec Carolina. Ce soir, nous partons pour Villa-Mayor.

HUSSEIN.

Préviendrai-je Don Josès, le frère de Votre Seigneurie ?

DON JUAN.

Retiens bien ceci, esclave, afin de ne plus tomber dans la même faute : je suis le fils unique du comte, le seul héritier de sa famille, et quiconque dira que Josès est mon frère en a menti.



ACTE II