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fille ; que j’ai toujours été jaloux de la réputation de cet homme, comme le roi Charles-Quint de celle du roi François Ier… Et que je veux la surpasser, entends-tu ? Afin que le diable ne sache lui-même qui préférer de Don Juan Tenorio ou de Don Juan de Marana… Maintenant, entre chez mon père ou sors de cette maison, sois pour Don Juan ou pour Don Josès, pour Dieu ou pour Satan, à ton choix ; mais n’oublie pas que je suis là, et que je ne perds pas une parole, pas un geste, pas un signe… Et que, selon ce que tu feras, je ferai.

DOM MORTÈS, entrant dans la chambre.


Dieu prenne pitié de vous, Monseigneur !

DON JUAN.

Priez pour vous-même, mon père.


Scène V

.

Le bon Ange, le mauvais Ange, Don Juan.

DON JUAN.

Allons, la lutte est engagée… il faut la soutenir : le prix est magnifique, Don Juan ! Tu as enfin rencontré un adversaire digne de toi ; il est fâcheux que ce soit sous la robe d’un moine ; car je m’entends mieux à me servir de l’épée que du poignard.

Ah ! Le voilà qui s’approche du lit de mon père. Prêtre, fais ton office de prêtre et pas autre chose, je te le conseille… Pourquoi t’éloignes-tu ? Que veux-tu faire de cette encre et de cette plume ?… Ah ! Tu tires un parchemin de ta poitrine ; ne mets pas la plume aux mains de mon père, ou, si tu le fais, tu vois bien que c’est toi qui cherches ta destinée, que c’est toi qui vas au-devant du malheur que j’ai voulu éviter… Ah ! Ah ! Voilà le vieillard qui écrit… Suis des yeux chaque ligne qu’il trace… Chaque ligne m’enlève un titre, un trésor, un château, n’est-ce pas ? Une seconde encore, et il ne me restera rien… Il va signer… Il… Prêtre maudit !…

Il était temps ! La signature manque seule, car ils avaient eu la précaution d’appliquer le sceau d’avance. Personne n’a vu entrer le vieillard.

Personne ne l’a vu sortir ! Mon père s’est évanoui… Et, quand il reviendra à lui, il prendra tout cela pour quelque songe de la fièvre… Pour quelque vision infernale !

Allons, je suis toujours Don Juan, seigneur de Marana, fils aîné du comte !

Ah ! Disparu ! Cette vieille tradition de la famille serait-elle vraie ? Le mauvais ange des Marana devait reprendre, disait-on, sa liberté, lorsqu’un crime serait commis par un Marana. Eh bien, le crime est commis, le mauvais ange est libre.

Après ? LE COMTE,

Don Juan !

DON JUAN.

J’attendais une réponse du ciel et la voilà qui me vient de la tombe : c’est la voix de mon père. Pourquoi cette voix me fait elle tressaillir jusqu’au fond des entrailles ? pourquoi me sentai-je malgré moi tout prêt à lui obéir ? Ah ! Ah ! Ah ! c’est qu’on m’a dit quand j’étais enfant : « Cet homme est ton père, et tu dois obéir à ton père. »

Préjugés de l’enfance, qui s’enracinent au cœur de l’homme !… Chaînes qui sortent de la bouche des nourrices, et qui garrottent les générations aux générations, ceux qu’il s’élèvent à ceux qui tombent, la vie à la mort !… Pourquoi le dernier cri du prêtre m’a-t-il moins ému que cette voix ?… Don Juan, Don Juan ! Poitrine de lion où bat un cœur de femme, obéis !

LE COMTE.

Don Juan !

DON JUAN, soulevant la tapisserie

Me voilà, mon père…

DON JOSÈS, dans l’antichambre.

Don Juan !

DON JUAN, laissant retomber la portière.

C’est la voix de mon frère, celle-là… Ah ! Celle-là aussi m’a fait tressaillir jusqu’au fond des entrailles, mais de haine et de jalousie !… Elle vient bien pour combattre l’autre. Merci, Satan !


Scène V

I. Don Josès, Don Juan.

DON JOSÈS, s’élançant en scène.

Don Juan ! Don Juan ! Est-il encore temps ? Verrai-je encore mon père ?

DON JUAN,