Je crois vous avoir dit aussi qu’à son réveil toutes ses idées seraient quelque temps confuses, et que sa mémoire ne reviendrait qu’à mesure que les objets frapperaient ses yeux.
Tant mieux ; elle sera moins à même de se rendre compte de votre magie… Quant à Saint-Mégrin, il est, comme tous ces jeunes gens, superstitieux et crédule : il aime, il croira… D’ailleurs, vous ne lui laisserez pas le temps de se reconnaître. Vous devez avoir un moyen d’ouvrir cette alcôve, sans quitter cette chambre.
Il ne faut qu’appuyer sur un ressort caché dans
les ornements de ce miroir magique.
Votre adresse fera le reste, mon père, et je m’en rapporte à vous… Le roi soupe chez la présidente Boulancour ; madame d’Assy, sa belle-fille, est en ce moment l’objet de ses hommages… C’est en sortant de chez elle que Saint-Mégrin et ses deux amis doivent venir ici… Un homme sûr, René, mon valet de chambre, restera dans le passage secret, et n’obéira qu’à vos ordres. Quelle heure comptez-vous ?
Je ne puis vous le dire : la présence de Votre Majesté m’a fait oublier de retourner ce sablier, et il faudrait appeler quelqu’un.
C’est inutile ; ils ne doivent pas tarder ; voilà l’important… Seulement, mon père, je ferai venir d’Italie une horloge ; je la ferai venir pour vous, ou plutôt, écrivez vous-même à Florence et demandez-la, quelque prix qu’elle coûte.
Votre Majesté comble tous mes désirs… Depuis longtemps j’en eusse acheté une, si le prix exorbitant qu’il faut y mettre…
Pourquoi ne pas vous adresser à moi, mon père ?…
Par Notre-Dame ! Il ferait beau voir que je laissasse
manquer d’argent un savant tel que vous… Non…
Venez demain, soit au Louvre, soit à notre hôtel de
Soissons, et un bon de notre royale main, sur le
surintendant de nos finances, vous prouvera que
nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate. Dieu soit
avec vous, mon père !
Scène II.
Oui, j’irai te rappeler ta promesse. Ce n’est qu’à prix d’or que je puis me procurer ces manuscrits précieux qui me sont si nécessaires… — (Écoutant.) On frappe… Ce sont eux.
Holà ! hé !
On y va, mes gentilshommes, on y va.
Scène III.
Allons, allons, courage, Joyeuse ! Voilà enfin notre sorcier… Vive Dieu ! mon père, il faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu’à vous.
L’aigle bâtit son aire à la cime des rochers pour y voir de plus loin.
Oui, mais on voit clair pour y arriver, au moins.
Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre visite. Sans cela, nous aurions trouvé l’antichambre mieux éclairée.
Vous vous trompez, comte de Saint-Mégrin. Je vous attendais…
Tu lui avais donc écrit ?…
Non, sur mon âme, je n’en ai parlé à personne…
Et toi ?
Moi ; tu sais que je n’écris que quand j’y suis forcé ;… cela me fatigue.
Je vous attendais, messieurs, et je m’occupais de vous.
En ce cas, tu sais ce qui nous amène.