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CHARLOTTE.

De temps en temps ; il quitte le moine, il entre sous l’arcade du palais.

MARGUERITE, vivement.

Charlotte, allez vous informer de la santé de mes sœurs, les princesses Blanche et Jeanne. Je vous appellerai quand je voudrai avoir de leurs nouvelles. Vous entendez, je vous appellerai.

CHARLOTTE, s’en allant.

Oui, madame.

MARGUERITE.

Il était là, attendant mon réveil, et n’osant le hâter, les yeux fixés sur mes fenêtres… Gaultier, mon beau gentilhomme !

GAULTIER, paraissant par une petite porte dérobée au chevet du lit.

Tous les anges du ciel ont-ils veillé au chevet de ma reine, pour lui faire un sommeil paisible et des songes dorés ?

(Il s’assoit sur les coussins de l’estrade.)
MARGUERITE.

Oui, j’ai eu de doux songes, Gaultier ; j’ai rêvé voir un jeune homme qui vous ressemblait ; c’étaient vos yeux et votre voix ; c’étaient votre âge, vos transports d’amour.

GAULTIER.

Et ce songe…

MARGUERITE.

Laissez-moi me rappeler… À peine si je suis éveillée encore… mes idées sont toutes confuses… Ce songe eut une fin terrible, une douleur comme si on m’eût déchiré la joue.

GAULTIER, voyant la cicatrice.

Ah ! en effet, madame, vous êtes blessée !

MARGUERITE, rappelant ses idées.

Oui, oui… je le sais ; une épingle… une épingle d’or… une épingle de ma coiffure qui a roulé dans mon lit et qui m’a déchirée… — (À part.) Oh ! je me rappelle…

GAULTIER.

Voyez !… et pourquoi risquer ainsi votre beauté, ma Marguerite bien-aimée ? Votre beauté n’est point à vous, elle est à moi.

MARGUERITE.

À qui parliez-vous devant ma fenêtre ?

GAULTIER.

À un moine qui me remettait des tablettes de la part d’un étranger que j’ai vu hier, qui ne connaissait personne à Paris, et qui, tremblant qu’un malheur ne lui arrivât dans cette grande ville, m’a fait promettre par son intermédiaire de les ouvrir si j’étais deux jours sans entendre parler de lui : c’est un capitaine que j’ai rencontré avec mon frère hier à la taverne d’Orsini.

MARGUERITE.

Vous me le présenterez ce matin, votre frère : je l’aime déjà d’une partie de l’amour que j’ai pour vous.

GAULTIER.

Oh ! ma belle reine ! gardez-moi votre amour tout entier ; car je serais jaloux même de mon frère… Oui, il viendra ce matin à votre lever : c’est un bon et loyal jeune homme, Marguerite ; c’est la moitié de ma vie, c’est ma seconde âme !

MARGUERITE.

Et la première ?…

GAULTIER.

La première, c’est vous ; ou plutôt vous êtes tout pour moi, vous : âme, vie, existence ; je vis en vous, et je compterais les battements de mon cœur en mettant la main sur le vôtre… Oh ! si vous m’aimiez comme je vous aime, Marguerite ! vous seriez toute à moi comme je suis tout à vous…

MARGUERITE.

Non, mon ami, non ; laissez-moi un amour pur. Si je vous cédais aujourd’hui, peut-être demain pourrais-je vous craindre… une indiscrétion, un mot est mortel pour nous autres reines : contentez-vous de m’aimer, Gaultier, et de savoir que j’aime à vous l’entendre dire.

GAULTIER.

Pourquoi faut-il que le roi revienne demain, alors !

MARGUERITE.

Demain !… et avec lui… adieu notre liberté ; adieu nos doux et longs entretiens… Oh ! parlons d’autre chose : cette cicatrice paraît donc beaucoup ?

GAULTIER.

Oui.

MARGUERITE.

Qu’est-ce que j’entends dans la chambre voisine ?

GAULTIER, se levant.

Le bruit que font nos jeunes seigneurs en attendant le lever de leur reine.

MARGUERITE.

Il ne faut pas les faire attendre, ils se douteraient peut-être pour qui je les ai oubliés ; je vous retrouverai au milieu d’eux, n’est-ce pas, mon seigneur, mon véritable seigneur et maître, mon roi, qui seriez le seul, si c’était l’amour qui fit la royauté ?… Au revoir.

GAULTIER.

Déjà !

MARGUERITE.

Il le faut : allez. — (Elle tire un cordon, les rideaux se ferment. Gaultier est dans la chambre ; le bras seul de Marguerite passe au milieu des