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derais la permission d’y prendre part… Mais ce soir…

RUGGIERI.

Quelque malheur ?

CATHERINE.

Non, tous les malheurs sont encore dans l’avenir. Vous-même avez tiré l’horoscope de ce mois de juillet, et le résultat de vos calculs a été qu’aucun malheur réel ne menaçait notre personne, ni celle de notre auguste fils, pendant sa durée… Nous sommes aujourd’hui au 20, et rien n’a démenti votre prédiction. Avec l’aide de Dieu, elle s’accomplira tout entière.

RUGGIERI.

C’est donc un nouvel horoscope que vous désirez, ma fille ? Si vous voulez monter avec moi à la tour, vos connaissances en astronomie sont assez grandes pour que vous puissiez suivre mes opérations et les comprendre. Les constellations sont brillantes.

CATHERINE.

Non, Ruggieri, c’est vers la terre que mes yeux sont fixés maintenant. Autour du soleil de la royauté se meuvent aussi des astres brillants et funestes : ce sont ceux-là qu’avec votre aide, mon père, je compte parvenir à conjurer.

RUGGIERI.

Commandez, ma fille, je suis prêt à vous obéir.

CATHERINE.

Oui… vous m’êtes tout dévoué… mais aussi ma protection, quoique ignorée de tous, ne vous est pas inutile. Votre réputation vous a fait bien des ennemis, mon père…

RUGGIERI.

Je le sais.

CATHERINE.

La Mole, en expirant, a avoué que les figures de cire à la ressemblance du roi, que l’on a trouvées sur l’autel, percées d’un poignard à la place du cœur, avaient été fournies par vous ; et peut-être les mêmes juges qui l’ont condamné, trouveraient-ils, sous les cendres chaudes encore de son bûcher, assez de feu pour allumer celui de Côme Ruggieri.

RUGGIERI, avec crainte.

Je le sais… je le sais.

CATHERINE.

Ne l’oubliez pas… restez-moi fidèle… et tant que le ciel laissera à Catherine de Médicis existence et pouvoir, ne craignez rien. Aidez-la donc à conserver l’un et l’autre.

RUGGIERI.

Que puis-je faire pour Votre Majesté ?

CATHERINE.

D’abord, mon père, avez-vous signé la ligue comme je vous ai écrit de le faire ?

RUGGIERI.

Oui, ma fille : la première réunion des ligueurs doit même avoir lieu ici,… car nul d’entre eux ne soupçonne la haute protection dont m’honore Votre Majesté… Vous voyez que je vous ai comprise et que j’ai été au delà de vos ordres.

CATHERINE.

Et vous avez compris aussi que l’écho de leurs paroles devait retentir dans mon cabinet, et non dans celui du roi ?

RUGGIERI.

Oui, Votre Majesté.

CATHERINE.

Et maintenant, mon père, écoutez… Votre profonde retraite, vos travaux scientifiques, vous laissent peu de temps pour suivre les intrigues de la cour… Eh ! d’ailleurs, vos yeux, habitués à lire dans un ciel pur, perceraient mal l’atmosphère épaisse et trompeuse qui l’environne.

RUGGIERI.

Pardon, ma fille… les bruits du monde arrivent parfois jusqu’ici : je sais que le roi de Navarre et le duc d’Anjou ont fui la cour et se sont retirés, l’un dans son royaume, l’autre dans son gouvernement.

CATHERINE.

Qu’ils y restent ; ils m’inquiètent moins en province qu’à Paris… Le caractère franc du Béarnais, le caractère irrésolu du duc d’Anjou, ne nous menacent point de grands dangers ; c’est plus près de nous que sont nos ennemis… Vous avez entendu parler du duel sanglant qui a eu lieu, le 27 avril dernier, près la porte Saint-Antoine, entre six jeunes gens de la cour ; parmi les quatre qui ont été tués, trois étaient les favoris du roi.

RUGGIERI.

J’ai su sa douleur ; j’ai vu les magnifiques tombeaux qu’il a fait élever à Quelus, à Schomberg et à Maugiron, car il leur portait une merveilleuse amitié… Il avait promis, assure-t-on, 100,000 livres aux chirurgiens, en cas que Quelus vint en convalescence… Mais que pouvait la science de la terre contre les dix-neuf coups d’épée qu’il avait reçus !… Entraguet, son meurtrier, a du moins été puni par l’exil…

CATHERINE.

Oui, mon père… mais cette douleur s’apaise d’autant plus vite, qu’elle a été exagérée. Quelus, Schomberg et Maugiron ont été remplacés par d’Épernon, Joyeuse et Saint-Mégrin. Entraguet reparaîtra demain à la cour : le duc de Guise l’exige, et Henri n’a rien à refuser à son cousin de Guise. Saint-Mégrin et lui sont mes ennemis. Ce jeune gentilhomme bordelais m’inquiète. Plus instruit, moins frivole surtout que Joyeuse et d’Épernon, il