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RICHARD.

Eh ! mon Dieu, des larmes ! si vous commencez par là, par où finirez-vous ?

JENNY.

Richard, vous ne me quitterez pas ainsi. Oh ! mais c’est une servante qu’on renvoie, qu’on chasse, et non pas une femme ; moi je suis votre femme enfin, devant Dieu, devant les hommes ; la femme que vous avez choisie vous-même, que personne ne vous a forcé de prendre. Je vous aimais, moi, vous l’ai-je dit la première ? ai-je cherché à vous séduire ? Oh ! non ; mais c’est vous, vous êtes venu à moi, rappelez-vous.

RICHARD.

Enfin que voulez-vous ? que demandez-vous ? qui vous amène ici ? que venez-vous y faire ?

JENNY.

Vous redemander un peu de votre ancien amour.

RICHARD.

Mon amour ! vous êtes folle…

JENNY.

Mais rappelez-vous donc le passé.

RICHARD.

Le passé, c’est le néant.

JENNY.

Oh ! vous ne m’avez jamais aimée ?

RICHARD.

Eh bien ! non… Écoutez-moi : j’avais besoin d’une famille, d’une position sociale, vous étiez là. J’eusse aimé une autre comme vous ; je vous ai aimée comme une autre.

JENNY.

Infamie !

RICHARD.

La société place autour de chaque homme de génie des instruments, c’est à lui de s’en servir.

JENNY.

Mais c’est affreux !

RICHARD.

Je ne vous aimais pas, je ne vous ai jamais aimée.

JENNY.

Taisez-vous, taisez-vous !

RICHARD.

Jugez maintenant si vous devez rester.

JENNY.

Non, non, monsieur, je pars.

RICHARD, à un domestique.

Des chevaux !

JENNY.

J’ai besoin d’aller oublier loin de vous l’horrible rêve de ces deux jours. Un instant viendra, où la tête moins ardente laissera entendre la voix du cœur ; vous vous souviendrez de Jenny ; mais avant devenir implorer votre pardon, il faudra demander si elle n’est pas morte.

RICHARD, allant à la fenêtre.

Tompson, faites atteler.

JENNY.

Avec qui partirai-je ?

RICHARD.

Mon secrétaire vous accompagnera.

JENNY.

J’aime mieux m’en aller seule.

RICHARD.

Je le permettrai, n’est-ce pas ?

JENNY.

Pourquoi pas avec Mawbray ?

RICHARD.

Sais-je où il est, et croyez-vous que j’aie envie d’aller le chercher par la ville ! Vous lui écrirez de venir vous rejoindre.

JENNY.

Oh ! nous quitter ainsi ! voir une femme en pleurs, le désespoir dans l’âme, priant à genoux, implorant un mot, un regard !…

RICHARD.

Madame, on va vous attendre : faites vos derniers apprêts…

JENNY.

J’obéis… — (En s’en allant.) Oh ! ma mère ! ma mère !

(Elle sort. Tompson paraît.)


Scène X.

RICHARD, TOMPSON, puis JENNY.
TOMPSON.

J’ai vu le marquis.

RICHARD.

Bon ! le contrat…

TOMPSON.

Sera signé ce soir.

RICHARD.

À ma maison ?

TOMPSON.

Oui.

RICHARD.

Et tout est prêt pour ton départ ?

TOMPSON.

Tout. Dans huit heures à Douvres, dans dix à Calais, dans cinq jours ici.

RICHARD.

Ce soir le contrat signé, demain le mariage, le même jour la pairie… Tu me retrouveras ministre.

TOMPSON.

Les derniers ordres de Votre Excellence ?