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RICHARD.

J’écoute.

LADY WILMOR, lui prenant la main.

Sir Richard !

RICHARD.

Milady !

LADY WILMOR.

Oh ! je n’oserai jamais. Sir Richard, vous êtes honnête homme.

RICHARD.

Jusqu’à présent, je n’ai donné à personne le droit d’en douter.

LADY WILMOR.

Vous, mon père et un autre, connaîtrez seuls ce que je vais vous apprendre.

RICHARD.

Quel que soit ce secret, madame, il mourra là.

LADY WILMOR.

Peut-être avez-vous cru, monsieur, en épousant miss Wilmor, que, quoiqu’elle fût l’enfant du premier mariage de mon mari, l’amour presque maternel que je lui porte me déterminerait à joindre ma fortune particulière à la sienne.

RICHARD.

Milady, peut-être aurais-je droit de me plaindre de votre persistance à revenir sur de pareils détails. Si l’on m’a peint à vos yeux comme un homme intéressé, permettez-moi de vous dire que le portrait n’est ni flatté ni ressemblant.

LADY WILMOR.

Oh ! loin de là, loin de là, monsieur ! je connais toute votre générosité. Mais ne comprenez-vous pas que j’ai un secret, un secret humiliant à vous révéler, et que je tarde… — (Une pause.) J’ai un fils, sir Richard, et ma fortune lui appartient.

RICHARD.

Vous !

LADY WILMOR.

Oui, l’enfant d’une faute, et trois personnes, vous compris, vous connaissez seuls l’existence de ce malheureux enfant !

RICHARD.

Et lord Wilmor ?

LADY WILMOR.

L’a toujours ignorée ; quelques mois après notre mariage, il reçut sa commission de gouverneur dans l’Inde, d’où je ne suis revenue qu’après sa mort.

RICHARD.

Eh bien ! milady…

LADY WILMOR.

Eh bien ! à peine le pied sur le sol d’Angleterre, redevenue propriétaire de mes biens, j’ai songé au pauvre abandonné. Déshérité des caresses de sa mère, qu’il trouve sa fortune du moins, car cet enfant me maudit peut-être… Moi, moi je l’ai toujours aimé comme une mère, c’est-à-dire d’un amour de toutes les heures et de tous les instants. Mon enfant, mon fils, croyez-vous qu’il me pardonne ?

RICHARD.

En vous retrouvant, en vous serrant dans ses bras, il oubliera tout.

LADY WILMOR.

Oh ! voilà ce qui fait mon malheur, c’est que je ne puis le revoir, c’est que je suis condamnée à ne jamais le presser sur mon cœur, le cœur d’une mère pourtant.

RICHARD.

Et pourquoi cela ? Pardon, madame, mais à moitié dans votre secret, j’ai peut-être le droit de connaître le reste.

LADY WILMOR.

Jamais je ne reverrai mon fils.

RICHARD.

Pourquoi ?

LADY WILMOR.

Il voudrait connaître son père, son père que je ne puis nommer ; comprenez-vous, un fils qui me demanderait le nom de son père, et auquel il me serait défendu de le dire.

RICHARD.

Oui, alors vous avez raison, mieux vaut qu’il ignore.

LADY WILMOR.

Et qu’à ma mort seule, en recueillant ma fortune, il sache mon secret. Oui, voilà ce que je me suis dit, mais… mais d’ici là, il peut être malheureux, dans le besoin, appelant et maudissant sa mère. Oh ! ne voyez-vous pas ce que je venais vous demander encore ?

RICHARD.

Si, madame, de remplacer pour lui ce qu’il a perdu, n’est-ce pas ? Est-il plus jeune que moi ? il sera mon fils, milady ; est-il de mon âge ? il sera mon frère.

LADY WILMOR.

Je ne m’étais donc pas trompée ! Oh ! vous avez donc toutes les vertus ? Oh ! laissez-moi embrasser vos genoux.

RICHARD.

Madame…

LADY WILMOR.

Vous ne comprenez donc pas une mère à qui l’on rend son fils, car c’est me le rendre. Je le reverrai ; il ne saura pas que je suis sa mère. Oh ! Richard, pardon, sir Richard ; vous irez vous-même, n’est-ce pas, le chercher dans le Northumberland ?

RICHARD.

Je connais ce pays, milady.