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L’HUISSIER.

C’est un homme qui depuis trois ans nous a fait bien du tort !

(L’huissier va au fond et regarde par une porte latérale.)
MAWBRAY.

Pauvre Jenny, que n’était-elle là ! elle eût oublié son abandon pendant quelques instants peut-être ; car les plaisirs de l’amour-propre ne cicatrisent pas pour longtemps les blessures du cœur ! Il faut que je parle à Richard, et…

L’HUISSIER, revenant en scène.

On vient de ce côté…

MAWBRAY.

Je me retire, — (Lui donnant une pièce d’argent.) et vous renouvelle mes remercîments.

L’HUISSIER.

Passez par ce couloir. — (Il le reconduit, et le voyant s’éloigner :) Il était temps !


Scène II.

LE MARQUIS DA SYLVA, TOMPSON ; le marquis entre le premier.
TOMPSON, s’arrêtant avec une hésitation affectée.

Sans nous en apercevoir, nous avons quitté la salle des conférences. Si l’honorable sir Richard avait besoin de moi…

LE MARQUIS.

Ici nous n’en continuerons que mieux notre conversation.

TOMPSON, avec distraction.

Ne désirez-vous pas suivre la séance ?

LE MARQUIS.

Soit. — (À l’huissier.) Ouvrez les rideaux et laissez-nous.

(L’huissier obéit et se retire ; ils s’assoient devant la balustre de la loge, et la conversation continue.)
LE MARQUIS.

Vous voyez que nos bancs sont encore bien garnis.

(On entend un murmure sourd et une voix dont on ne peut distinguer les paroles.)
TOMPSON.

Oui… Mais l’assemblée est bien distraite… C’est un des vôtres qui a la parole.

LE MARQUIS, après avoir écouté.

Ce qu’il dit est très-juste.

(Tumulte dans la chambre.)
TOMPSON.

Tout le monde n’est pas de votre avis…

(On voit le speaker faire des efforts pour rétablir l’ordre ; d’une voix qui couvre le tumulte, il crie : La parole est au premier lord de la trésorerie.)
LA VOIX DE RICHARD.

Et moi, je demande d’avance la parole pour réfuter ce que va dire le ministre.

LE MARQUIS, se levant précipitamment.

Il n’y a pas moyen d’y tenir.

TOMPSON, fermant les rideaux.

Prenez donc garde, monsieur le marquis, on vous voit.

LE MARQUIS.

C’est une guerre à mort !

TOMPSON.

Je vous l’avais dit : qui ne l’a pas pour lui, l’a contre lui ; et qui l’a contre lui, succombe.

LE MARQUIS.

Jouons cartes sur table, monsieur Tompson.

TOMPSON.

Volontiers, puisque vous mettez tous les enjeux.

LE MARQUIS.

Je veux ne pas perdre ma fortune ; le ministère veut rester, et le roi veut garder un ministère choisi dans la plus haute aristocratie.

TOMPSON.

Je comprends le vouloir ; maintenant le pouvoir…

LE MARQUIS.

Nous pouvons tout cela, pourvu que sir Richard nous prête son appui.

TOMPSON.

Vous vous y êtes pris trop tard.

LE MARQUIS.

Une entrevue peut tout réparer.

TOMPSON.

Avec qui ?

LE MARQUIS.

Avec sir Richard.

TOMPSON.

Et vous croyez qu’on peut marchander et vendre une conscience ? Vous vous trompez, monsieur le marquis ; vous échoueriez même avec un homme corrompu, et sir Richard est encore à corrompre.

LE MARQUIS.

Mais cette affaire ne peut-elle se traiter par votre intermédiaire, monsieur Tompson ?

TOMPSON.

Quelque confiance qu’ait en moi sir Richard, je crois encore de cette manière la chose impossible.

LE MARQUIS.

Que faire alors ?

TOMPSON.

Supposez sir Richard caché quelque part, ignorant que vous connaissez sa présence en cet en-