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pauline.

Non, ma tante, ne les empêchez pas.

madame de vertpré.

Mais, malheureuse, s’ils allaient se battre !

pauline.

Chez le notaire ?

madame de vertpré.

Comment ?

pauline.

Ils vont le chercher pour mon contrat de mariage.

madame de vertpré.

Ils ne se querellaient donc pas en sortant ?

pauline.

Ils se tutoyaient.

madame de vertpré.

Vraiment ?

pauline.

Et je suis bien contente ! Léon…

madame de vertpré.

M’a bien l’air d’un fou, ma chère enfant.

pauline.

Du tout, ma tante. Il m’adore… je vous assure qu’il a toute sa raison.

madame de vertpré.

Je veux dire qu’il me fait l’effet d’un homme bien léger.

pauline.

Je ne sais ; mais il m’a juré qu’il n’aimait que moi, qu’il n’avait jamais aimé que moi. Est-ce de la légèreté cela, ma tante ?

madame de vertpré.

Et où t’a-t-il fait ce serment ?

pauline.

Ici, à mes genoux.

madame de vertpré.

Pauvre enfant !

pauline.

Plaît-il, ma tante ?

madame de vertpré, à part.

Peut-être devrais-je lui dire qu’il y a une heure, ici, à mes genoux, à moi… Oh ! non, pourquoi l’affliger d’une folie ?

pauline.

À quoi pensez-vous, ma tante ?

madame de vertpré.

À ce que tu viens de me dire. Et tu as engagé ta main ?

pauline.

Ma main ? c’est vous qui en disposerez, et je l’ai dis à mon oncle et à Léon.

madame de vertpré.

Si bien que Léon…

pauline.

Va venir vous la demander.

madame de vertpré.

D’accord avec mon mari ?

pauline.

Très-d’accord ; c’est mon oncle qui l’y excite.

madame de vertpré.

Et M. de Vertpré n’est pas plus mort pour Léon que pour toi ?

pauline.

Très-vivant pour tous deux.

madame de vertpré.

Je voudrais bien de l’encre et une plume.

pauline.

Voulez-vous que je sonne ?

madame de vertpré.

Non. Va me les chercher dans ma chambre.

pauline.

Vous allez lui écrire ?

madame de vertpré.

Ne t’inquiète pas. (Pauline sort.) Ah ! messieurs, il paraît que c’est une ligue, et que vous vous entendez à merveille ! Mon mari, je conçois qu’il presse ce mariage ; mais Léon, qui tantôt… il a besoin d’une leçon, ce jeune homme, elle ne lui manquera pas ; et s’il désire véritablement épouser Pauline… Et mon mari que j’oublie !… c’est injuste ! il mérite aussi une punition pour sa jalousie : il l’aura.

pauline, rentrant et posant l’encrier sur la table.

Tenez, ma tante, voici. Qu’allez-vous faire ?

madame de vertpré.

Écoute, Pauline, c’est une chose sérieuse qu’un lien qui nous prend toute notre vie pour la donner à un autre, qu’un lien que la mort seule peut rompre une fois que les hommes l’ont formé.

pauline.

Oh ! oui, c’est un bonheur céleste !

madame de vertpré.

Ou un malheur éternel.

pauline.

Comment ?

madame de vertpré.

Eh bien, Pauline, il ne faudrait pas livrer ainsi au hasard toutes les espérances de ton âge. On entre dans la vie par les années riantes et heureuses, ne les abrège pas, chère enfant.

pauline.

Vous m’effrayez. Refusez-vous de consentir à mon mariage ?

madame de vertpré.

Non, non ; mais auparavant, je veux tenter une épreuve.

pauline.

Sur Léon ?