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léon.

Et quand cette envie vous prend, vous vous attaquez ?…

m. de vertpré.

À tout le monde, et de préférence à mes rivaux, monsieur.

léon.

C’est-à-dire, monsieur, que vous avouez…

m. de vertpré.

Que je suis votre rival !… J’ai cette impudence.

léon.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne céderai pas.

m. de vertpré.

Ni moi non plus !

léon.

Je ne connais alors qu’un moyen…

m. de vertpré.

Je comprends, je comprends.

léon.

Et vous l’adoptez ?

m. de vertpré.

Je ne l’adopte pas.

léon.

Monsieur !…

m. de vertpré.

Écoutez : que voulons-nous tous les deux ? Réussir, n’est-ce pas ? Eh bien ! si l’un de nous deux peut arriver à son but sans tuer l’autre…… Il me semble qu’être éconduit et recevoir un coup d’épée par-dessus le marché, ce serait du luxe.

léon.

Ainsi, nous allons, chacun de notre côté ?…

m. de vertpré.

Faisons mieux.

léon.

J’écoute.

m. de vertpré.

Une proposition.

léon.

Dites, dites.

m. de vertpré.

Que celui de nous deux qui est le moins avancé dans les bonnes grâces de madame de Vertpré… C’est de madame de Vertpré que vous êtes amoureux, n’est-ce pas ?…

léon.

Oui, monsieur !

m. de vertpré.

Très-bien ! très-bien !… que le moins avancé, dis-je… cède la place à l’autre.

léon.

Mais qui fera foi ?

m. de vertpré.

Vous êtes homme d’honneur, je m’en rapporte à votre parole.

léon.

Je vous remercie de votre confiance ; mais j’avoue…

m. de vertpré.

Que vous ne m’accordez pas la vôtre. Soit. Je donnerai des preuves, moi.

léon.

Pardieu ! c’est trop fort.

m. de vertpré.

Acceptez-vous ?

léon.

J’accepte.

m. de vertpré.

Et vous me direz tout ?

léon, tendant la main.

Parole d’honneur.

m. de vertpré, lui donnant une poignée de main.

Allons, dites, et dites tout.

léon, à part.

Voilà un monsieur passablement fat !

m. de vertpré.

Eh bien ?

léon.

Eh bien, monsieur, madame de Vertpré, sans doute à titre d’ami, remarquez bien que je n’ai pas comme vous tant de confiance en moi-même, accepte souvent mes services. À la promenade, c’est mon bras qu’elle choisit de préférence : une main posée sur un bras glisse facilement dans une autre main, et lorsque cela arrive par hasard à celle de madame de Vertpré, notre conversation la préoccupe assez pour qu’elle l’y laisse, et plus d’une fois…

m. de vertpré.

Plus d’une fois ?

léon.

Je l’ai pressée dans les miennes sans qu’elle songeât à la retirer.

m. de vertpré.

Et elle ne pressait pas la vôtre, elle ?

léon.

Non, monsieur, je dois le dire.

m. de vertpré.

Eh bien, je dois vous dire, moi, qu’en pareille circonstance elle pressait la mienne… et très-tendrement encore.

léon, surpris.

Très-tendrement !

m. de vertpré.

Si tendrement, qu’un jour un anneau que lui avait donné son mari…

léon.

M. de Vertpré ?

m. de vertpré.

M. de Vertpré… m’est resté entre les mains.