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madame de vertpré.

Monsieur, comment ai-je pu mériter que vous oubliiez à ce point…

léon.

Je n’oublie pas, madame, je me souviens, au contraire…

madame de vertpré.

Et de quoi ?

léon.

C’est de la fatuité, peut-être… mais j’avais cru que ces légers services que vous demandiez plutôt à moi qu’à un autre… j’avais espéré que des heures entières passées ensemble s’étaient écoulées pour tous deux avec une rapidité presque égale… quelques mots affectueux…

madame de vertpré.

Oh ! mais, monsieur, ces légers services, ces conversations, ces mots affectueux, tout cela ! oh ! tout cela s’adressait à l’ami.

léon.

Il y a cruauté à une femme de votre âge de choisir des amis du mien. L’ami d’une femme jeune et jolie doit avoir au moins soixante ans.

madame de vertpré.

Vous raillez, monsieur ?

léon, tombant à genoux.

Non, madame, j’implore.

madame de vertpré.

Ah ! c’est trop fort, laissez-moi, sortez, sortez !

léon.

Je ne me retirerai pas que…

madame de vertpré.

Faudra-t-il que je vous cède la place ?

léon.

J’obéis, madame, mais j’espère que plus tard…

madame de vertpré.

Jamais !

léon.

Oh ! madame, jamais !

madame de vertpré.

Encore une fois, laissez-moi, monsieur.

léon.

Je me retire. (À part, en sortant.) Le diable m’emporte si j’y comprends quelque chose !



Scène XI.


M. DE VERTPRÉ, sortant du cabinet ; MADAME DE VERTPRÉ, stupéfaite.
(Ils se regardent quelque temps sans rien dire.)
m. de vertpré, sur le seuil de la porte.

Eh bien ! madame ?

madame de vertpré.

Eh bien ! monsieur, que voulez-vous que je vous dise ?

m. de vertpré.

Effectivement, ce jeune homme venait ici pour Pauline.

madame de vertpré.

Ah ! monsieur, de la générosité, je vous en prie.

m. de vertpré.

Savez-vous qu’il était temps que cela finit : j’entendais fort bien de ce cabinet, mais je voyais fort mal, et au train dont allaient les choses…

madame de vertpré.

Grâce ! je vous en supplie.

m. de vertpré.

Oui, oui, vous avez raison, ce n’est point à vous que je dois en vouloir ; cependant je ne suis pas fâché d’être arrivé.

madame de vertpré.

Je vais fermer ma porte à ce jeune homme.

m. de vertpré.

Quelle folie ! t’en faire un ennemi !… non, non.

madame de vertpré.

Quelle est donc votre intention ?

m. de vertpré.

Je le verrai.

madame de vertpré.

Une querelle ?

m. de vertpré.

Une explication tout au plus.

madame de vertpré.

Et vous lui direz ?…

m. de vertpré.

Qui je suis.

madame de vertpré.

Et votre incognito ?

m. de vertpré.

J’y renonce.

madame de vertpré.

Mais vous vous exposez en le perdant.

m. de vertpré.

Je ne m’expose à rien en le gardant, n’est-ce pas ?

madame de vertpré.

Vous ne pensez pas qu’un pareil fat…

m. de vertpré.

Non, je ne le pense pas ; j’aime à ne pas le penser, du moins… et après notre entrevue…

(Il va pour sortir ; madame de Vertpré le retient.)
madame de vertpré.

Mon ami, je vous en conjure !…

m. de vertpré.

Écoute, chère Adèle, je n’ai pas troublé ton tête-à-tête, ne dérange pas le mien. Ce jeune homme est au jardin, je vais le joindre.

madame de vertpré.

Paul, cher Paul !