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Scène V.


PAULINE seule, puis HÉLÈNE.
PAULINE.

Oui, grondez-le, ma tante ; mais il me semble que c’était à moi de le gronder et non pas à vous. Avec vous il est toujours aimable, empressé, galant ; mais avec moi, comme je dois être sa femme, il est bien aise de ne pas feindre. — (allant vers la table sur laquelle est l’album qu’elle prend.) Des vers !… Ils sont jolis, ses vers ! Un avocat qui veut faire le poëte. Et moi, folle, qui avais cru qu’ils étaient pour moi, et qui les trouvais charmants… Ah ! mon Dieu, voilà le feuillet déchiré ! Bah !… il n’y a pas grand mal, il les récrira sur un autre… Ah ! oui, mais derrière, une aquarelle de Decamps ! Mon Dieu, que va dire ma tante ?… Comment écrit-on des vers derrière une aquarelle, aussi ! Comme il y en a plusieurs, peut-être ne s’en apercevra-t-elle pas… Oui, mais si elle la retrouve chez moi… Tant pis, vers et aquarelle au feu. — (La feuille de papier brûle.) Oh ! j’y pense, le dessin n’était pas collé sur la feuille : on aurait pu le replacer sur une autre. — (Elle essaye de la retirer du feu.) Allons, voilà que je me brûle ! Mais je ne sais ce que je fais, je suis folle, j’ai la tête perdue…

hélène, entrant.

Oh ! mon Dieu, quel chagrin !

pauline.

Oui, j’ai du chagrin ; oui, je suis malheureuse, mais j’aurai du courage et je ne l’aimerai plus.

hélène.

Et pourquoi ne l’aimeriez-vous plus ?

pauline.

Parce qu’il en aime une autre. Conçois-tu, Hélène, aimer une brune, une femme qui a des cheveux noirs, quel mauvais goût !

hélène, se regardant dans une glace.

Mais non, il me semble que ce n’est pas trop laid !

Pauline, se reprenant.

Oh ! mais toi, Hélène, tu as les cheveux noirs… d’un très-beau noir !

hélène.

Et madame de Vertpré, votre tante, a les cheveux noir aussi.

pauline.

Tiens ! c’est vrai, ma tante…

hélène.

Elle est jolie, votre tante.

pauline.

Oh ! mon Dieu, tu as raison, Hélène ! ma tante est brune, elle est jolie, elle est veuve, a peine si elle a quelques années de plus que moi ; ces vers étaient sur l’album de ma tante, les mille soins, les mille complaisances qu’il a pour elle, leurs entretiens, leurs promenades… Dans ce moment… mais dans ce moment encore ils sont ensemble. Oh ! Hélène ! il aime ma tante, c’est ma tante qu’il épousera.

hélène.

Écoutez, il est possible que M. Léon aime madame de Vertpré ; mais je vous réponds qu’il ne l’épousera pas, moi.

pauline.

Tu en es sûre ?

hélène.

Très-sûre.

pauline.

Et comment cela ? dis-le-moi, je t’en prie, ma petite Hélène.

hélène.

Parce que madame de Vertpré n’est pas… — (À part.) Ah ! mon Dieu, qu’allais-je dire !

pauline.

N’est pas quoi ?

hélène.

Voilà ce qu’il m’est défendu de vous apprendre ; mais, tenez, il y a un Dieu pour les amants, et voilà qu’il vous venge.

pauline.

Comment cela ?

hélène.

Voyez-vous la pluie ?

pauline.

Eh bien ?

hélène.

Ne m’avez-vous pas dit qu’ils étaient à la promenade ?

Pauline, allant vers la fenêtre.

Oh ! oui, c’est vrai, ils vont être mouillés, trempés jusqu’aux os, et j’en suis contente, j’en suis enchantée. Regarde, regarde donc ! Hélène, les vois-tu revenir ! Comme ils courent… le chapeau de Léon s’envole… qu’ils sont amusants !… quelle excellente pluie !

hélène.

Qui trempe sa tante et son fiancé. Excellent petit cœur !

Pauline, riant.

Ce n’est pas cela du tout, mademoiselle : c’est qu’il y avait très-longtemps qu’il n’avait tombé d’eau, que la terre était desséchée, et que cette averse était très-nécessaire à la récolte.

(Elle se sauve en riant.)
hélène.

Petite folle qui rit et pleure à la fois ! que M. Léon en trouve beaucoup comme cela.