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COMMENT JE DEVINS AUTEUR DRAMATIQUE.

C’est portant avec moi cette somme intrinsèque de qualités physiques et de connaissances morales que je descendis dans un modeste hôtel de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, convaincu que l’on calomniait la société, que le monde était un jardin à fleurs d’or, dont toutes les portes allaient s’ouvrir devant moi, et que je n’avais, comme Ali-Baba, qu’à prononcer le mot sésame pour fendre les rochers.

J’écrivis le même soir au ministre de la guerre pour lui demander une audience : je lui détaillais mes droits à cette faveur, je les appuyais du nom de mon père, qu’il ne pouvait avoir oublié ; j’en appelais à l’ancienne amitié qui les avait unis, passant sous silence, et par délicatesse, les services rendus, mais dont une lettre du maréchal, qu’à tout hasard j’avais apportée avec moi, faisait preuve incontestable.

Je m’endormis là-dessus, et fis des songes des Mille et une Nuits.

Le lendemain j’achetai un almanach des vingt-cinq mille adresses, et je me mis en course.

La première visite que je fis fut au maréchal Jourdan. Il se souvenait vaguement qu’il avait existé un général Alexandre Dumas ; mais il ne se rappelait pas avoir jamais entendu dire qu’il eut un fils. Malgré tout ce que je pus faire, je le quittai au bout de dix minutes, paraissant très-peu convaincu de mon existence.

Je me rendis chez le général Sébastiani. Il était dans son cabinet de travail ; quatre ou cinq secrétaires écrivaient sous sa dictée ; chacun d’eux avait sur son bureau, outre sa plume, son papier et ses canifs, une tabatière d’or, qu’il présentait toute ouverte au général, chaque fois qu’en se promenant celui-ci s’arrêtait devant lui. Le général y introduisait délicatement l’index et le pouce d’une main que son arrière-cousin Napoléon eût enviée pour la blancheur et la coquetterie, savourait voluptueusement la poudre d’Espagne, et, comme le malade imaginaire, se remettait à arpenter la chambre tantôt en long tantôt en large. Ma visite fut courte ; quelque considération que j’eusse pour le général, je me sentais peu de vocation pour devenir porte-tabatière.

Je rentrai à mon hôtel un peu désappointé ; les deux premiers hommes que j’avais rencontrés avaient soufflé sur mes rêves d’or et les avaient ternis. Je repris mon almanach des vingt-cinq mille adresses ; mais déjà ma confiance joyeuse avait disparu ; j’éprouvai ce serrement de cœur qui va toujours croissant au fur et à mesure que la désillusion arrive ; je feuilletais le livre au hasard, regardant machinalement, lisant sans comprendre, lorsque je vis un nom que j’avais si souvent entendu prononcer par ma mère, et avec tant d’éloges, que je tressaillis de joie ; c’était celui du général Verdier, qui avait servi en Égypte sous les ordres de mon père. Je me jetai dans un cabriolet, et je me fis conduire rue du faubourg Montmartre, n° 4 ; c’était là qu’il demeurait.

— Le général Verdier ? demandai-je au concierge.

— Au quatrième, la petite porte à gauche.

Je fis répéter ; j’avais cependant bien entendu.

Parbleu, me disais-je tout en montant l’escalier, voilà au moins quelque chose qui ne ressemble ni aux laquais à livrée du maréchal Jourdan, ni au suisse de l’hôtel Sébastiani. — Le général Verdier, au quatrième, la porte à gauche. — Cet homme-là doit se souvenir de mon père.

J’arrivai à ma destination. Un modeste cordonnet vert pendait près de la porte désignée : je sonnai avec un battement de cœur dont je n’étais pas le maître. J’attendais cette troisième épreuve pour savoir à quoi m’en tenir sur les hommes.

J’entendis des pas qui s’approchaient ; la porte s’ouvrit ; un homme d’une soixantaine d’années parut. Il était coiffé d’une casquette bordée d’astracan, vêtu d’une veste à brandebourgs et d’un pantalon à pieds ; il tenait d’une main une palette chargée de couleurs, et de l’autre un pinceau. Je crus m’être trompé, et je regardai les autres portes.

— Que désirez-vous, monsieur ? me dit-il.

— Présenter mes hommages au général Verdier. Mais il est probable que je me trompe ?

— Non, non, vous ne vous trompez pas ; c’est ici. —

J’entrai dans un atelier.

— Vous permettez, monsieur ? me dit l’homme à la casquette en se remettant à un tableau de bataille, dans la confection duquel je l’avais interrompu.

— Sans doute ; et si vous voulez seulement m’indiquer où je trouverai le général… —

Le peintre se retourna.

— Eh bien ! mais pardieu ! c’est moi, me dit-il.