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Et réclame Christine.

CHRISTINE.

Et réclame Christine. Il est trop tard, mon père ;
Vous le savez bien, vous… Et son fils ?

BORRI.

Vous le savez bien, vous… Et son fils ? Sans espoir
On le voit… il est faible, et l’on semble prévoir
Le jour où, rejoignant le père qui succombe,
L’enfant ira dormir dans sa royale tombe.

CHRISTINE.

Mon Dieu ! vous le savez, par deux fois j’ai tenté
De reprendre un pouvoir imprudemment quitté ;
Aujourd’hui le royaume où mon espoir se fonde,
Mon Dieu, vient de vous seul, et n’est pas de ce monde.
Les noms des messagers vous sont-ils parvenus ?

BORRI.

Ce sont les fils de ceux que vous avez connus,
Oxenstiern, de Brahé. — Vous pâlissez, ma fille !

CHRISTINE.

Oui, je me sens plus mal, et chaque objet vacille ;
Tout mon sang vers mon cœur semble se retirer.

BORRI, faisant un mouvement pour sortir.

Alors les messagers royaux…

CHRISTINE, le retenant.

Alors les messagers royaux… Faites entrer.

BORRI.

Ma fille, en ce moment vous feriez mieux peut-être
De penser au Seigneur, notre souverain maître.

CHRISTINE.

J’aurai bientôt fini.


Scène II.

Les précédents ; OXENSTIERN neveu, DE BRAHÉ portant le manteau royal, la couronne et le sceptre.
CHRISTINE.

J’aurai bientôt fini. Salut, messieurs, salut.
Vous venez me trouver, et je sais dans quel but ;
Je voudrais des Suédois redevenir la reine,
Dieu le sait… mais sa main loin du trône m’entraîne,
Et ce sceptre des rois, que je trouvai si beau,
N’est plus qu’un ornement à mettre en mon tombeau.
Vous arrivez trop tard…

UN ENVOYÉ.

Vous arrivez trop tard… Pour le pouvoir suprême
Il n’est jamais trop tard, madame… car Dieu même,
Lorsqu’il s’agit d’empire, et de peuple et de rois,
Avant de les frapper, y regarde à deux fois ;
Et souvent on l’entend, quand on croit l’heure prête,
Dire au soleil : Reviens ; dire à la nuit : Arrête.
Voilà ce que pour vous peut faire son pouvoir.

UN AUTRE.

Madame, puissions-nous un jour encor vous voir
Au trône où vous attend la Suède dévouée !…

CHRISTINE.

À son bonheur toujours Christine s’est vouée,
Mais pour chacun il vient un moment solennel
Où l’on ne pense plus qu’au bonheur éternel.

L’ENVOYÉ.

Oui, mais laissez du moins placer sur votre tête
Cette couronne, afin que si la mort s’apprête
À frapper ici-bas la femme seulement,
L’ange qui doit vers nous descendre en ce moment,
Voyant à votre front la marque souveraine,
Remonte demander s’il doit frapper la reine.

CHRISTINE.

Il faut pour obéir un courage bien grand ;
La couronne paraît lourde au front d’un mourant.
Quand la tête s’incline et que la main retombe,
C’est un fardeau pesant à porter dans la tombe
Qu’une couronne… un sceptre… Aussi, lorsque la voix
De Dieu sur les tombeaux retentira sept fois ;
Quand les morts répondront aux paroles fatales,
Parmi les trépassés les rois seront plus pâles,
Et plus d’un paraîtra sans sceptre et sans bandeau,
Les oubliant exprès au fond de son tombeau…
Je le ferai pourtant, car mon obéissance
Ne veut pas devant Dieu douter de sa puissance.
Mais sans couronne, au moins, ne puis-je demeurer
Seule un instant encor ?…

GUÊME, montrant les messagers.

Seule un instant encor ?… Quand pourront-ils rentrer ?

CHRISTINE, à demi voix, à Borri.

Combien de temps encore avant que je ne meure ?

BORRI, de même, à Christine.

Trois quarts d’heure à peu près…

CHRISTINE.

Trois quarts d’heure à peu près… Revenez dans une heure.

L’ENVOYÉ.

Ne nous éloignons pas ; nous attendrons…

(Ils sortent.)

Scène III.

CHRISTINE, EBBA, STEINBERG.
CHRISTINE.

Ne nous éloignons pas ; nous attendrons… Restez
Vous, Ebba ! vous, Steinberg !…

STEINBERG ET EBBA.

Vous, Ebba ! vous, Steinberg !… Oh ! madame !…

CHRISTINE.

Vous, Ebba ! vous, Steinberg !… Oh ! madame !… Écoutez :
Votre reine en mourant vous fait une prière :
Veillez sur elle, afin qu’à son heure dernière
On ne la trouble point… Un vieillard va venir,
Dont la main est, dit-on, toujours prête à bénir !
Dont la voix consolante, à la douce parole,
Détache doucement une âme qui s’envole.
Depuis vingt ans, dit-on, ses prières pour nous
Aux marches des autels ont usé ses genoux ;
Jamais, ceint du cordon, revêtu de la haire,
Pénitent plus pieux, aux pieds du sanctuaire,
N’a, priant, incliné pour ses frères tremblants,
Touché le saint pavé de cheveux aussi blancs !
Enfants, je veux le voir… et, sans qu’il me connaisse,
À sa voix dans mon cœur que le calme renaisse.
Je l’ai fait demander… Allez, car l’heure fuit,