Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SENTINELLI.

C’est juste, — et d’un bon fils.

MONALDESCHI.

C’est juste, — et d’un bon fils. Quelle douleur amère,
Alors qu’elle saura que, loin d’elle puni,
Son fils sans la revoir est mort !

SENTINELLI.

Son fils sans la revoir est mort ! — As-tu fini ?

MONALDESCHI.

Non ;… un instant encore, encore une seconde !

SENTINELLI.

Voyons, comptes-tu donc écrire à tout un monde ?

MONALDESCHI.

J’achève.

SENTINELLI.

J’achève. Es-tu prêt ?

MONALDESCHI.

J’achève. Es-tu prêt ? Oui… mes gants et mon chapeau.

SENTINELLI.

Les voilà.

MONALDESCHI.

Les voilà. Je ne puis paraître sans manteau
Aux regards de la reine… Ainsi donc qu’il vous plaise…

SENTINELLI.

Ne vois-tu pas le tien jeté sur cette chaise ?

MONALDESCHI.

Est-ce bien le mien ?

SENTINELLI.

Est-ce bien le mien ? Oui, le voici. — Hâtons-nous.

MONALDESCHI, le mettant tantôt sur une épaule et tantôt sur l’autre.

Je sens trembler ma main et fléchir mes genoux.

SENTINELLI.

Qui te retient encor ?

MONALDESCHI.

Qui te retient encor ? Cette agrafe indocile…

SENTINELLI, tirant son poignard, et allant à lui.

Attends.

MONALDESCHI, reculant.

Attends. Que voulez-vous ?

SENTINELLI.

Attends. Que voulez-vous ? La rendre plus facile…
Je veux, pour t’épargner quelque nouveau retard,
Élargir cette agrafe à l’aide du poignard.

(Il perce le manteau et l’agrafe.)
MONALDESCHI, s’essuyant le front avec son mouchoir.

J’ai cru que de ma mort l’heure était avancée !
J’ai froid, et sur mon front une sueur glacée…

(Il laisse tomber son mouchoir, et met le pied dessus.)
SENTINELLI.

De retarder encore, aurais-tu le dessein ?

MONALDESCHI, immobile.

Oh ! quand j’ai vu le fer se lever sur mon sein,
Je ne crus plus vivant repasser cette porte.

SENTINELLI, s’approchant de lui.

Pour la dernière fois, faudra-t-il qu’on t’emporte ?

MONALDESCHI, approchant l’anneau de sa bouche.

Adieu donc à la vie, à l’univers adieu ! —
Je ne pourrai jamais…

(Il court à une colonne dans laquelle il y a une madone.)

Je ne pourrai jamais… Protége-moi, mon Dieu !

SENTINELLI, le saisissant par le bras, et appelant.

Allons, messieurs, à moi !


Scène V.

Les précédents ; CHRISTINE, le père LEBEL.
MONALDESCHI.

Allons, messieurs, à moi ! Du secours !… — C’est la reine !

(Apercevant le père Lebel.)

Vous n’êtes pas seule. Ah !…

CHRISTINE, voyant l’épée nue de Sentinelli.

Vous n’êtes pas seule. Ah !…Le zèle vous entraîne,
Comte… je n’ai pas dit…

MONALDESCHI.

Comte… je n’ai pas dit… Vous ne l’avez pas dit.
N’est-ce pas !… Meurtrier infâme, sois maudit !

CHRISTINE.

Ah ! ne maudissez pas ! car, si près de la tombe.
La malédiction sur qui maudit retombe.

(À Sentinelli.)

Comte, patientez encor quelques instants ;
Et lorsqu’il sortira, frappez ; il sera temps.
Remettez-nous les clefs, et laissez-nous.

(Sentinelli, Clauter et Landini sortent. La porte se referme.)

Scène VI.

CHRISTINE, MONALDESCHI, le père LEBEL.
MONALDESCHI.

Remettez-nous les clefs, et laissez-nous. Madame,
Je ne suis point coupable, et contre moi l’on trame
Quelque complot affreux ; je dois…

CHRISTINE.

Quelque complot affreux ; je dois… Le meurtrier,
Marquis, lui-même a droit à se justifier ;
Le juge du coupable écoute la défense,
Avant que de la mort il signe la sentence.
Parlez… De quelques pas, mon père, éloignez-vous.

LEBEL.

Puisse ce malheureux fléchir votre courroux,
Madame !

CHRISTINE.

Madame ! Que j’absolve ou bien que je punisse,
Dans tous les cas, mon frère, il sera fait justice ;
Reposez-vous sur moi… Nous voilà seuls, parlez,
Marquis.

MONALDESCHI.

Marquis. Je ne le puis, si vous ne rappelez
De quel crime aujourd’hui j’ai mérité la peine.

CHRISTINE.

Ah ! votre mémoire est à ce point incertaine :
Eh bien ! nous l’aiderons… Marquis, veuillez ouvrir
Cette lettre et lisez… Vous avez cru couvrir
D’un éternel secret votre crime peut-être ?
Insensé !… vous tremblez ?… Ouvrez donc cette lettre !
Vous êtes innocent… lisez !

MONALDESCHI, tombant à genoux.

Vous êtes innocent… lisez ! Je suis perdu !

CHRISTINE, au père Lebel.

Vous le voyez, mon père, il est là confondu,