Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protection du roi Charles-Gustave ; j’ai pensé que le meilleur moyen de me rassurer était de lui révéler le complot qu’elle trame contre lui ; veuillez mettre sous ses yeux les lettres ci-jointes ; ce sont des copies de celles qu’elle a écrites aux différents princes qui doivent la seconder dans ce projet. — Si je connaissais un homme qui eût plus à se plaindre d’elle que vous, c’est à lui que je me serais adressé.

Comme un courrier peut être indiscret ou une lettre décachetée, je crois que le moyen le plus sûr est d’écrire à Christine pour accuser de la révélation que je vous fais, notre ennemi commun, le comte Sentinelli. — Au premier mot que m’en dira la reine, je saurai qu’il est temps de me retirer sous la protection de notre auguste maître, le roi Charles-Gustave.


Le marquis Jean de Monaldeschi.

Fontainebleau, le 5 octobre 1657. »

Au comte La Gardie. — Et c’est mon ennemi
Qui me livre un complot tramé par mon ami !
Celui que j’exilai me sauve !… — Ce mystère,
Il avait intérêt pourtant à me le taire :
Charles-Gustave auprès de lui l’avait placé.

SENTINELLI.

Mais Gustave se meurt, madame ; il s’est blessé
En tombant de cheval. — Cette lettre l’annonce ;
À celle du marquis c’est, je crois, la réponse :
Elle m’est adressée.

(Lisant.)

« Je vous envoie, monsieur le comte, la preuve d’un horrible complot ourdi contre notre reine et contre vous, qui êtes un de ses plus fidèles serviteurs. Je ne réclame de vous, pour seule récompense, que de lui faire connaître que c’est à moi qu’elle doit cette révélation ; peut-être y puisera-t-elle la conviction de l’éternel regret que j’ai d’avoir encouru sa disgrâce. — Quant au moment, elle n’en pouvait choisir un plus favorable. Le roi s’est cassé la jambe en tombant de cheval, et les médecins désespèrent de sa vie.


Le comte Magnus de La Gardie.

20 octobre 1657. »
CHRISTINE.

Elle m’est adressée. Ah ! je comprends enfin ;
Magnus du roi qu’il sert voit approcher la fin
Mais en bon courtisan soutenant l’aventure,
Il est déjà fidèle à sa reine future.
Le soleil de Gustave atteint son horizon,
Du soleil de Christine il espère un rayon.
Favori par état, flatteur par habitude,
Il ne peut respirer qu’un air de servitude.
Quant à Monaldeschi, renfermant le secret
De son crime, je veux qu’il dicte son arrêt ;
À cet arrêt suprême il lui faudra souscrire ;
Nous n’exécuterons que ce qu’il va prescrire.

(Montrant à Sentinelli son cabinet.)

De cet appartement suivez notre entretien,
N’en perdez pas un mot et n’en oubliez rien.
Sa bouche n’aura pas rendu des sons frivoles,
Et le vent n’aura pas emporté ses paroles.

(Sentinelli entre dans le cabinet.)

Holà ! quelqu’un.

(Un valet paraît.)

Holà ! quelqu’un. Allez leur dire qu’à l’instant,
Tous trois dans ce salon la reine les attend.

LE VALET.

Mais qui ?

CHRISTINE.

Mais qui ? C’est juste ; étrange effet de la pensée,
Qui d’arriver au but est toujours trop pressée,
Et par quelques vains mots veut au premier venu
Faire comprendre un sens d’elle seule connu !
Qui ? — ma dame d’honneur, mon premier gentilhomme,
Puis cet Italien qui prend le titre d’homme,
Que j’ai fait tour à tour marquis, grand écuyer,

(Le valet sort.)

Et qui de mes bienfaits m’a si bien su payer !
Quelqu’un encor !

(Un autre valet entre.)

Quelqu’un encor ! — Gulrick, courez à l’abbaye,
Et songez qu’à l’instant je veux être obéie.
Demandez à parler à son supérieur,
C’est le père Lebel, le révérend prieur
Des Trinitaires.

GULRICK.

Des Trinitaires. Oui.

CHRISTINE.

Des Trinitaires. Oui. Dites-lui qu’on l’invite
À se rendre au palais, à s’y rendre au plus vite.
On voudrait confier un secret à sa foi.
Qu’il soit en arrivant introduit près de moi.
Allez ! —

(Gulrick sort.)

Allez ! — Sentinelli, vous pouvez tout entendre,
N’est-ce pas ?

SENTINELLI.

N’est-ce pas ? Oui, madame.

CHRISTINE.

N’est-ce pas ? Oui, madame. Ils se font bien attendre !
Faut-il donc tant de temps, bon Dieu ! pour prévenir
Trois personnes ? — Enfin je les entends venir !


Scène IV.

Les précédents ; EBBA, puis STEINBERG, MONALDESCHI et PAULA.
CHRISTINE, à Ebba.

Te voilà seule, Ebba ?

EBBA.

Te voilà seule, Ebba ? Seule.

CHRISTINE.

Te voilà seule, Ebba ? Seule. Tant mieux, écoute :
Sur certain serviteur j’ai conçu quelque doute ;
En vous accusant tous, je veux sonder sa foi ;
De ce que je dirai, ne prends donc rien pour toi.

EBBA.

Sur un doute ! un instant : — Dieu vous garde, madame,