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PAULA.

Enfant ? Oh ! Majesté, je suis à vos genoux.

CHRISTINE.

Où vous ai-je donc vu, mon beau page ? Il me semble
Que nous avons déjà dû nous trouver ensemble ?

LE PAGE.

Au palais de Stockholm, le jour…

CHRISTINE.

Au palais de Stockholm, le jour… Je me souviens.
Vous êtes au marquis, n’est-ce pas ? Allons, viens…
Relève-toi… J’avais oublié cette histoire.

PAULA.

Elle doit plus longtemps rester en ma mémoire,
À moi…

CHRISTINE.

À moi… Vous êtes donc au marquis ?

PAULA.

À moi… Vous êtes donc au marquis ? Majesté,
Je ne suis plus à lui depuis…

CHRISTINE.

Je ne suis plus à lui depuis… En vérité,
Notre grand écuyer vous devait, que je pense,
Pour votre dévoûment meilleure récompense.
Qu’ayez-vous donc fait ?

PAULA.

Qu’ayez-vous donc fait ? Rien.

CHRISTINE.

Qu’ayez-vous donc fait ? Rien. Rien ?…

PAULA.

Qu’ayez-vous donc fait ? Rien. Rien ?… Rien, sur mon honneur !
Mais le marquis me craint.

CHRISTINE.

Mais le marquis me craint. Il vous craint ?

PAULA.

Mais le marquis me craint. Il vous craint ? Son bonheur
Dépend d’un grand secret dont je suis seul le maître
Avec lui.

CHRISTINE.

Avec lui. Ce secret, quel est-il ?

PAULA.

Avec lui. Ce secret, quel est-il ? Oh ! peut-être
Plus que je ne le suis devrais-je être discret ;
Car vous aussi, madame, êtes de ce secret.

CHRISTINE.

Çà, mon fils, la harangue est bien mystérieuse.
De savoir nos secrets nous sommes curieuse :
Expliquez-vous donc vite.

PAULA, laissant tomber sa tête dans ses mains.

Expliquez-vous donc vite. Oh ! je l’avais bien dit
Que vous vous fâcheriez… C’est que je suis maudit…

CHRISTINE.

Non. Voyons, qu’est cela… ? Cette crainte est trop forte ;
D’avance, quel que soit ton tort, peu nous importe,
Nous t’absolvons.

PAULA.

Nous t’absolvons. Eh bien ! madame, vous savez
Qu’à Stockholm, tous les deux, nous sommes arrivés
D’Italie… ensemble.

CHRISTINE.

D’Italie… ensemble. Oui, je le sais.

PAULA.

D’Italie… ensemble. Oui, je le sais. Et peut-être
Vous a-t-il dit aussi, qu’excepté lui, mon maître,
Au milieu de ce monde auquel j’ai dit adieu,
Je n’avais d’autre espoir que dans la tombe et Dieu.

CHRISTINE.

Je le sais, vous n’avez plus ni père ni mère.

PAULA.

Jugez donc si jamais douleur fut plus amère
Que la mienne, aussitôt qu’il me dit qu’il fallait
Que je partisse.

CHRISTINE.

Que je partisse. Vous, le quitter ?

PAULA.

Que je partisse. Vous, le quitter ? Qu’il voulait
Que d’un exil sans fin ma faveur fût suivie,
Et que je ne devais le revoir de ma vie.

CHRISTINE.

À quelle occasion vous a-t-il dit cela ?
Voilà ce que je veux savoir…

PAULA.

Voilà ce que je veux savoir… C’est que voilà
Ce que je n’ose dire, à vous.

CHRISTINE.

Ce que je n’ose dire, à vous. Miséricorde !
Vous me criez merci, d’avance je l’accorde,
Sans demander pourquoi vous voulez ce pardon :
Et puis vous hésitez… mais, vrai Dieu, parlez donc !

PAULA.

Eh bien ! vous comprenez que n’ayant que mon maître,
Ne le quittant jamais… je devais le connaître
Comme je me connais, et que tout sentiment
Qui frappait sur son cœur, presque au même moment
Retentissait au mien ; c’est ainsi que mon âme
Devina qu’il aimait, avant mes yeux. —

(Christine fait un mouvement.)

Devina qu’il aimait, avant mes yeux. — Madame,
Je vous l’avais bien dit ; — mais, si vous le voulez,
Je puis me taire encor. — Dites un mot…

CHRISTINE.

Je puis me taire encor. — Dites un mot… Parlez !

PAULA.

C’est ainsi que, voyant sa tristesse croissante,
Je sus que son amour serait longue et puissante :
Ainsi je devinai, voyant moins soucieux
Son front, que sur la terre il espérait les cieux,
Être aimé ! Son espoir bientôt fut de la joie,
Il l’était ! ces cheveux où votre main se noie,
Madame, ne sont pas et plus beaux et plus noirs
Que ceux qu’avec amour il baisait tous les soirs.
Puis sa joie augmenta… c’était presque un délire…,
Il pleurait… et soudain se reprenait à rire..,
Un soir que je rentrais, je vis, oh ! sans chercher
À le voir, un portrait !… Entendant s’approcher
Quelqu’un, il le cacha trop lentement encore,
Car c’était le portrait de celle qu’il adore.
Ainsi que vos cheveux les siens étaient ornés
D’une couronne.

CHRISTINE, se soulevant sur son fauteuil.

D’une couronne. Hein !

PAULA.

D’une couronne. Hein ! Madame, pardonnez !