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eau.

mais quand l’eau de Seine était bien épurée, quand on la faisait prendre au-dessus du Jardin des plantes et au milieu du courant, aucune espèce d’eau n’était comparable à celle-là pour la limpidité, la légèreté, la sapidité ; elle était surtout abondamment saturée d’oxygène, se repliant sur elle-même par des sinuosités multipliées qui, pendant près de deux cents lieues la soumettaient à l’action de l’air atmosphérique ; en outre, depuis sa source jusqu’à Paris, elle ne coule que sur un lit de sable, ce à quoi les gourmands attribuent la supériorité du poisson de Seine sur celui des autres rivières.

Tout le monde sait que les moines n’ont jamais beaucoup aimé l’eau, voici un fait qui vient encore prouver leur antipathie pour ce fade liquide.

Un cordelier fréquentait assez assidûment la cuisine d’un évêque qui avait recommandé à ses gens d’avoir soin du bon frère. Un jour que le prélat donnait un grand dîner, le moine se trouva justement à l’évêché ; monseigneur parla du religieux et le recommanda à la compagnie. Quelques dames s’écrièrent aussitôt :

« Monseigneur, il faut nous amuser et jouer un tour au moine. Faites-le venir, nous lui ferons boire un verre de belle eau claire que nous lui présenterons comme un verre d’excellent vin blanc.

— Mais vous n’y pensez pas, mesdames, dit l’évêque.

— Oh ! cela nous divertira, laissez-nous faire, monseigneur. »

Alors on fit venir un valet de chambre, et on lui fit apprêter sur le champ une bouteille d’eau, bien ficelée et bien cachetée. Puis on fait monter le quêteur.

« Frère, disent les dames, il faut boire à la santé de Sa Grandeur et à la nôtre. »

Le moine s’applaudit de sa bonne fortune et s’apprête à la bien recevoir ; on débouche la bouteille, on lui verse rasade. Le malin moine qui s’aperçoit aussitôt de la supercherie ne perd point la tête et dit du ton le plus piteux et le plus humble à l’évêque.

« Monseigneur, je ne boirai pas que vous n’ayez donné votre sainte bénédiction sur ce nectar.

— Cela est fort inutile mon frère.