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Quelques mots au lecteur.

c’est à la fois la grande préoccupation de l’homme sauvage et de l’homme civilisé. Seulement, sauvage, il mange par besoin.

Civilisé, il mange par gourmandise.

C’est pour l’homme civilisé que nous écrivons ce livre ; sauvage, il n’a pas besoin d’être excité à l’appétit.

Il y a trois sortes d’appétits :

1oCelui que l’on éprouve à jeun, sensation impérieuse qui ne chicane pas sur les mets et qu’au besoin on apaiserait avec un morceau de chair crue aussi bien qu’avec un faisan ou un coq de bruyère rôti ;

2oCelui que l’on ressent lorsque, s’étant mis à table sans faim, on a déjà goûté d’un plat succulent qui a consacré le proverbe : L’appétit vient en mangeant.

Le troisième appétit est celui qu’excite, après le mets succulent venu au milieu du dîner, un mets délicieux qui paraît à la fin du repas, lorsque le convive sobre allait quitter sans regrets la table, où le retient cette dernière tentation de la sensualité.

Deux femmes nous ont donné les premiers exemples de la gourmandise :

Ève, en mangeant une pomme dans le Paradis ;

Proserpine, en mangeant une grenade en enfer.

Proserpine ne fit de tort qu’à elle. Enlevée par Pluton, pendant qu’elle cueillait des fleurs sur les bords de la Cyanée, et transportée en enfer, à ses réclamations pour remonter sur la terre le Destin répondit :

« Oui, si tu n’as rien mangé depuis que tu es en enfer. »

La gourmande avait mangé sept grains de grenade.

Jupiter, imploré par la mère de Proserpine, Cérès, revit l’arrêt du Destin et décida que, pour satisfaire à la fois la mère et l’époux, Proserpine resterait six mois sur la terre et six mois dessous.

Quant à Ève, sa punition fut plus grave, et elle s’étendit jusqu’à nous, qui n’en pouvons mais.

Au reste, de même qu’il y a trois sortes d’appétits, il y a trois sortes de gourmandises.

Il y a la gourmandise que les théologiens ont placée au rang des sept péchés capitaux, celle que Montaigne appelle la science de la gueule.