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HISTOIRE DE MES BÊTES.

fois ; mais toutes mes attentions ne me valaient pas, de sa part, la plus petite caresse.

Le soir, quand, par hasard, j’allais faire un tour sur la proverbiale terrasse de Saint-Germain, afin de distraire le spleenétique Mouton, je l’emmenais avec moi ; mais, au lieu de courir et de gambader comme les autres chiens, Mouton me suivait par derrière, la tête et la queue basses, comme le chien du pauvre suivant le corbillard de son maître.

Seulement, lorsque quelqu’un me venait parler, Mouton poussait un grognement sourd.

— Oh ! oh ! me disait l’interlocuteur, qu’a donc votre chien ?

— Ne faites pas attention ; il est en train de s’habituer à moi.

— Oui ; mais il n’a pas l’air de s’habituer aux autres.

Les plus physionomistes ajoutaient :

— Prenez garde ! ce gaillard-là a l’œil mauvais.

Puis, quand à la science physiognomonique ils ajoutaient la prudence, ils s’éloignaient rapidement en demandant :

— Comment l’appelez-vous, votre chien ?

— Mouton.

— Eh bien, adieu, adieu… Prenez garde à Mouton !

Je me retournais et disais :

— Entends-tu, Mouton, ce que l’on dit de toi ?

Mais Mouton ne répondait pas.

Du reste, depuis huit jours qu’il était mon commensal, je n’avais pas entendu une seule fois aboyer Mouton.

Quand, au lieu d’un interlocuteur, c’était le chien d’un interlocuteur qui s’approchait de moi, ou plutôt de Mouton, dans l’intention courtoise de lui dire bonjour à la manière des chiens,