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HISTOIRE DE MES BÊTES.

— Justement, c’est que c’est le veau, dit madame Vatrin en paraissant sur le seuil de la porte ; je l’avais mis sur le rebord de la fenêtre, et ce gueux de Pritchard l’a emporté.

— Eh bien, dis-je en rentrant, le morceau de veau à la main, je vous le rapporte.

— C’est donc après lui que vous avez jeté le verre ?

— Oui. dit Michel, et le verre n’est pas cassé ! Ah bien, monsieur, en voilà un fameux coup d’adresse.

En effet, le verre avait atteint Pritchard au défaut de l’épaule, et était retombé sur l’herbe sans se casser.

Seulement, le choc avait été assez violent pour faire jeter un cri à Pritchard.

Pour jeter son cri, Pritchard avait été obligé d’ouvrir la gueule.

En ouvrant la gueule, il avait lâché le morceau de veau.

Le morceau de veau était tombé sur l’herbe fraîche.

Je l’avais ramassé et je le rapportais.

— Allons, allons, dis-je, consolez-vous, madame Vatrin, nous déjeunerons…

J’allais ajouter comme Ajax : « Malgré les dieux ! »

Mais je trouvai la phrase un peu bien prétentieuse.

— Malgré Pritchard, me contentai-je de dire.

— Comment ! demanda madame Vatrin, vous allez manger ce veau-là ?

— Je crois bien ! répliqua Michel. Il n’y a que l’endroit de la dent à enlever ; rien n’a la gueule saine comme un chien.

— C’est vrai, dit Vatrin.

— Comment, si c’est vrai ! mais c’est-à-dire, monsieur, que, si vous êtes blessé par hasard, vous n’avez qu’à faire lécher la