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HISTOIRE DE MES BÊTES.

— Allons, allons, nous soupirerons demain, dit Vatrin ; vite la table ! nous sommes pressés.

En un tour de main, la table fut mise, et les quatre bouteilles de vin du Loiret s’alignèrent sur la table.

On entendit le beurre qui commençait à frire dans la poêle.

— Goûtez-moi ce petit vin-là, dit Vatrin en me versant un plein verre de liquide.

— Vatrin, Vatrin, lui dis-je, que diable faites-vous ?

— C’est vrai, j’oubliais que vous êtes comme le général : lui, il ne buvait que de l’eau ; quelquefois, par hasard, dans les grandes débauches, un verre de vin rougi ; cependant, une fois, mon père lui a fait boire un verre de vin pur, tenez, dans le verre doré qui est sur la cheminée. Monsieur Corrége, vous ne l’avez pas encore vu, ce verre-Là, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est le verre du général. Pauvre général !

Puis, se tournant vers moi :

— Ah ! s’il vous voyait faire des livres comme vous en faites et tirer comme vous tirez, il serait bien content.

Ce fut à moi de pousser un soupir à mon tour.

— Allons, dit Vatrin, voilà que j’ai fait une bêtise ; je sais cependant que cela vous fait cet effet-là quand je parle du général ; mais, que voulez-vous ! je ne peux pas m’empêcher d’en parler. C’était un homme… cré nom !… Bon ! voilà ma pipe cassée.

En effet, Vatrin avait voulu, pour ajouter plus d’expression à ses paroles, faire craquer ses dents, et il avait pour cette fois coupé le tuyau de sa pipe au ras du four.

Le four était tombé à terre et s’était brisé en mille morceaux.