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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Or, pour passer dans les fourrés, il faut une pipe particulière, une pipe qui ne dépasse pas la longueur du nez, afin que la pipe et le nez travaillent d’un effort égal au passage de la figure.

À force de presser le tuyau de la pipe, les dents de Vatrin, celles qui pressent le tuyau, se sont arrondies en haut et en bas ; de sorte que ce tuyau est pris comme dans une pince, d’où il ne bouge, une fois qu’il y est enserré. La pipe de Vatrin ne quitte sa bouche que pour s’incliner gracieusement sur les bords de sa blague, et se remplir, comme faisait l’amphore de la princesse Nausicaa à la fontaine, ou l’urne de Rachel au puits.

Aussitôt bourrée, la pipe de Vatrin reprend sa place dans sa pince ; le vieux garde chef tire de sa poche son briquet, sa pierre, son amadou ; — Vatrin ne donne pas dans les idées nouvelles et dédaigne la chimique ; — puis il allume sa pipe, et, jusqu’à ce qu’elle soit complètement épuisée, la fumée sort de sa bouche avec la régularité et presque avec l’abondance de la fumée d’une machine à vapeur.

— Vatrin, lui disais-je un jour, quand vous ne pourrez plus marcher, vous n’aurez qu’à vous faire adapter deux roues, et votre tête servira de locomotive à votre corps.

— Je marcherai toujours, me répondit simplement Vatrin.

Et Vatrin disait vrai : le Juif errant n’était pas mieux traité que lui pour la course.

Il va de soi que Vatrin répond sans avoir besoin de quitter sa pipe ; sa pipe est une espèce de végétation de sa mâchoire, un corail noir enté sur ses dents ; seulement, il parle avec une sorte de sifflement qui n’appartient qu’à lui, et qui provient du peu d’espace que les dents laissent au son pour passer.