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HISTOIRE DE MES BÊTES.

terre ; son tailleur, dont il lit la fortune, était renommé pour son habileté à habiller les gens selon la classe à laquelle ils appartenaient, faisant des distinctions d’une subtilité incroyable.

Un jour, un gentilhomme campagnard, ami de d’Orsay, vient passer un mois à Londres ; il va faire une visite au comte, et lui dit :

— Cher ami, me voici ; mais ce n’est pas tout, je viens passer un certain temps à Londres ; je voudrais ne pas être ridicule, je ne suis ni un dandy, ni un marchand de la Cité, je suis un gentilhomme campagnard ; regardez-moi bien, et dites à votre tailleur comment il doit m’habiller.

D’Orsay le regarde, va à la collection de ses cannes, — d’Orsay avait cinquante ou soixante cannes, — en choisit une dont la poignée était une patte de chevreuil recourbée et ferrée d’argent.

— Tenez, dit-il à son ami, allez trouver Blindem, et dites-lui de vous habiller pour cette canne-là.

Et Blindem habilla le gentilhomme pour cette canne et sur la seule vue de cette canne, et jamais le gentilhomme, il l’avoua lui-même, ne fut mieux habillé.

C’étaient des merveilles que les dessins de d’Orsay.

Je me rappelle un soir où, chez Masnef, jeune Russe de mes amis, il passa la soirée à faire, de nous tous, des dessins à la mine de plomb.

Jamais je n’ai vu collection plus curieuse que cette collection, au milieu de laquelle se trouvait le portrait d’une jeune fille, charmante incontestablement, mais qu’il avait fait, chose rare, je ne dirai pas plus jolie, mais plus angélique qu’elle n’était.