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HISTOIRE DE MES BÊTES.

spective de M. Taschereau, avait-il perdu un œil à la révolution de février ?

Était-ce au boulevard des Capucines ? était-ce à l’attaque du pont Tournant ?

Pritchard avait perdu un œil parce que, la curiosité m’ayant poussé à voir ce qui ce passait à Paris, et ayant poussé Michel à voir ce qui se passait à Saint-Germain, on avait oublié de lui faire sa pâtée accoutumée et de lui donner ses os quotidiens ; il en était résulté que, ayant voulu partager la pitance du vautour, le vautour, qui, pas plus que celui de Prométhée, n’entendait plaisanterie à propos de son cœur, de son foie ou de son mou, avait allongé à Pritchard un magistral coup de bec qui l’avait déferré d’un œil.

Il était — à moins d’une grande philosophie à l’endroit des plaisanteries cynégétiques — il était difficile d’utiliser un chien en pareil état.

Par bonheur pour Pritchard, je n’étais pas de l’avis de Caton l’Ancien, pour la morale duquel, je l’avoue, je ne professe qu’une médiocre admiration, et qui dit : « Vendez votre cheval lorsqu’il est vieux, et votre esclave lorsqu’il est infirme ; car plus vous attendrez, plus vous perdrez sur l’un et sur l’autre. »

Je n’eusse pas trouvé acquéreur si j’eusse voulu vendre Pritchard, je n’eusse pas trouvé amateur si j’eusse voulu donner Pritchard ; il me restait donc à faire tout simplement, de ce vieux serviteur, si mauvais serviteur qu’il ait été, à mon avis, un commensal de la maison, un invalide de mon service, un ami enfin.

D’aucuns me dirent que, puisque je n’étais qu’à quelques pas