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HISTOIRE DE MES BÊTES.

presse, chacun armé d’une plume dont, de temps en temps, nous sentions la pointe comme on sent la piqûre d’une guêpe.

Pas un ne bougea.

Mais j’avais une amie, moi.

Chers lecteurs, du moment que vous loucherez une plume pour écrire autre chose que les comptes de votre cuisinière, avez des amies, jamais des amis.

J’avais donc une amie.

Cette amie s’appelait madame Émile de Girardin.

Il n’y a pas si longtemps que l’adorable créature est dans la tombe, que vous l’ayez déjà oubliée.

Oh ! non, vous vous rappelez cet esprit charmant et, en même temps, presque viril, qui parcourait la triple octave de la grâce, de l’esprit et de la force.

Eh bien, femme, elle fit ce qu’aucun homme n’avait osé, ou plutôt n’avait voulu faire.

Pendant toute la discussion parlementaire dont je venais d’être, sinon le héros, du moins l’objet, pas une seule fois mon nom n’avait été prononcé.

On m’avait appelé, non pas même M*, M** ou M***, comme j’ai appelé les trois députés qui s’étaient plus particulièrement occupés de moi dans cette mémorable séance, — mais monsieur tout court, et parfois, en manière de variante, le monsieur ou ce monsieur.

Du moment que l’inviolabilité de la tribune était décrétée, on pouvait m’appeler comme on voulait.

Madame de Girardin prit au collet le plus monsieur de ces trois messieurs, et, avec sa charmante main blanche, potelée et aux