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HISTOIRE DE MES BÊTES.

millions d’hommes, était venu m’annoncer, à cinq cents lieues de là, la fatale nouvelle. Je montrai ce pauvre prince, beau, jeune, brave, élégant, artiste, Français jusqu’au bout des ongles, national jusqu’à la pointe des cheveux. Je rappelai Anvers, le col de Mouzaïa, les Portes-de-Fer, la grâce du hussard Bruyant accordée à moi, la grâce de Barbes, accordée à Victor Hugo. Je racontai quelques-uns de ces mots si pleins d’esprit, qu’on les eût crus échappés à Henri IV ; quelques autres si pleins de cœur, qu’ils ne pouvaient être échappés qu’à lui. Si bien qu’au bout d’un quart d’heure, la moitié de la salle pleurait, et que j’étais de cette moitié-là ; qu’au bout de vingt minutes, toute la salle applaudissait, et qu’à partir de ce soir-là, j’avais non-seulement trois mille voix, mais trois mille amis.

Que sont devenus ces trois mille amis dont je n’ai jamais su les noms ? Dieu le sait ! Ils se sont dispersés, emportant chacun dans son cœur cette parcelle d’or qu’on appelle le souvenir. Deux ou trois seulement ont survécu à ce grand naufrage du temps qui finira par les engloutir, et moi avec eux. Et ceux-là non-seulement sont restés des amis, mais sont devenus des frères : frères en amitié, et confrères en saint Hubert.

Ah ! vous voyez que nous avons fait le grand tour, mais que nous revenons, cependant, au point d’où nous sommes partis, c’est-à-dire à Pritchard.

J’avais été invité à venir faire l’ouverture prochaine dans les vignes de la basse Bourgogne.

Comme on sait, tout pays vignoble a sa double ouverture : son ouverture de blés et son ouverture de vignes ; ce qui peut se tra-