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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Nous emboîtâmes le pas derrière Pritchard, qui ne parut pas s’inquiéter de nous, quoique, évidemment, il nous eût éventés.

Pritchard monta jusqu’au sommet de la carrière, sommet planté d’une vigne qui s’étendait jusqu’au chemin de Marly d’en haut ; là, il explora avec le plus grand soin le terrain, en suivant la ligne de la carrière, rencontra une piste, la reconnut pour fraîche, fit quelques pas dans le sillon tracé par un double rang d’échalas, se coucha à plat entre et attendit.

Presque en même temps, le premier coup de gueule de Portugo se faisait entendre à cinq cents pas de là ; dès lors, la manœuvre était claire : le soir, les lapins sortaient de la carrière et s’en allaient au gagnage ; Pritchard relevait la piste de l’un d’eux ; Portugo faisait un grand détour, attaquait le lapin ; et, comme un lapin ou un lièvre revient toujours sur sa passée, Pritchard, traîtreusement embusqué, l’attendait au retour.

En effet, comme les abois de Portugo se rapprochaient de plus en plus, nous vîmes l’œil moutarde de Pritchard s’enflammer peu à peu comme une topaze ; puis, tout à coup, s’aidant de ses quatre pattes pliées comme d’un quadruple ressort, il fit un bond, et nous entendîmes un cri de surprise et de détresse tout à la fois.

— Le tour est fait, dit Michel.

Et il alla à Pritchard, lui prit des dents un fort joli lapin, l’acheva d’un coup sur la nuque, en fit la curée à l’instant même et en distribua les entrailles à Portugo et à Pritchard, qui partagèrent en frères, n’ayant probablement qu’un regret, c’est que l’intervention de Michel, appuyée de la mienne, les privât du tout pour ne leur laisser que la partie. Comme le disait Michel,