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HISTOIRE DE MES BÊTES.

dans lesquelles, comme toujours, le plus faible était vaincu ; mais la plus touchante harmonie, il faut le dire, se rétablissait dès que j’apparaissais dans le jardin. Alors, pas un qui, si paresseusement étendu qu’il fût au soleil ; qui, si douillettement qu’il fut couché sur le gazon ; qui, si amoureusement qu’il causât avec sa voisine, n’interrompît son repos, sa sieste, sa causerie, pour venir à moi l’œil tendu et la queue agitée. Tout cela essayait de me prouver sa reconnaissance, chacun à sa façon : les uns en se glissant familièrement entre mes jambes ; les autres en se dressant sur leurs pattes de derrière, et en faisant ce qu’on appelle les beaux ; les autres, enfin, en sautant par-dessus la canne que je leur tendais, soit pour l’empereur de Russie, soit pour la reine d’Espagne, mais refusant avec une obstination toute classique de sauter pour ce pauvre roi de Prusse, le plus humble et le plus populaire de tous les monarques, non seulement parmi son peuple, mais parmi les chiens de toutes les nations du monde.

On recruta une petite épagneule nommée Lisette, et le nombre des chiens fut porté à quatorze.

Eh bien, ces quatorze chiens, tout compte fait, me coûtaient cinquante ou soixante francs par mois. Un seul dîner donné à cinq ou six de mes confrères, m’eût coûté le triple, et encore fussent-ils certainement sortis de chez moi en trouvant mon vin bon peut-être, mais, à coup sûr, ma littérature mauvaise.

Au milieu de toute cette meute, Pritchard s’était choisi un compagnon et Michel un favori ; c’était un basset à jambes torses, court, trapu, marchant sur le ventre, et qui, de son plus grand train, eût bien fait une lieue en une heure et demie,