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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Mais, soit que Paul fût d’une susceptibilité nerveuse inconnue, soit que cette susceptibilité fût surexcitée par l’ammoniaque, Paul, au lieu de dormir, comme je lui en donnais le conseil, ou de faire son compte, comme c’était son droit, Paul se mit à se renverser la tête en arrière, à se tordre les bras et à faire des grimaces de possédé. Paul avait une attaque de nerfs, et, au milieu de toutes ces contorsions, ou plutôt dans les intervalles de ces contorsions, il criait :

— Non, je ne veux pas m’en aller ! non, je suis bien dans la maison et j’y reste. Je n’ai quitté mon premier maître que parce qu’il s’est pendu ; je n’ai quitté mon second maître que parce qu’il a été mis à la retraite. M. Dumas n’a pas été mis à la retraite, M. Dumas ne s’est pas pendu ; je veux rester avec M. Dumas.

Cet attachement pour ma personne me toucha. J’obtins de Paul, non pas la promesse qu’il ne boirait plus, il eut la loyauté de me la refuser, mais celle qu’il boirait le moins possible. J’exigeai la restitution de la clef de la cave, restitution dont je sus d’autant plus de gré à Paul, que visiblement il la faisait à regret, et tout rentra dans l’ordre accoutumé.

Ce qui m’avait rendu un peu plus indulgent pour Paul, c’est que, quelques jours avant mon départ pour l’Espagne, mon ami de Saulcy était venu me demander à dîner, avait parlé arabe avec Paul, et m’avait affirmé que Paul parlait arabe comme Boabdil ou Malek-Adel.

Le jour venu, nous partîmes donc, Alexandre, Maquet, Boulanger et moi, flanqués d’une ombre noire qui n’était autre que notre ami Paul.