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HISTOIRE DE MES BÊTES.

avait oublié de m’avertir que Paul avait un goût prononcé pour le rhum ; j’ai ajouté que Chevet avait pensé que je m’en apercevrais bien tout seul.

Or, Chevet s’était fait une trop haute idée de ma perspicacité. Je voyais bien de temps en temps Paul, se levant sur mon passage et se mettant au port d’armes, rouler de gros yeux qui, de blancs, étaient devenus jaunes ; je remarquais bien qu’il appuyait d’une façon désespérée son petit doigt à la couture de sa culotte, pose gracieuse et militaire à la fois, qu’il avait prise chez son colonel ; j’entendais bien qu’il mêlait confusément l’anglais, le français, l’espagnol et l’italien ; mais, absorbé par mon travail, je faisais une médiocre attention à ces changements superficiels, et je continuais à être fort content de lui ; seulement, selon la recommandation de Chevet, je ne confiais rien à Paul, si ce n’est la clef de la cave, que, contrairement à ses habitudes, il n’a jamais perdue.

Je restai donc dans mon ignorance de cette fatale habitude de Paul, jusqu’à ce qu’une circonstance inattendue me la révélât. Parti un jour pour aller à une chasse où je devais rester toute une semaine, je revins le lendemain sans être attendu, et, selon mon habitude, en rentrant, j’appelai Paul.

Paul ne répondit pas. J’appelai Michel : Michel était dans le jardin. J’appelai la femme de Michel, Augustine : Augustine était allée faire son marché. Je pris mon parti et je montai à la chambre de Paul, craignant qu’il ne se fût pendu comme son ancien maître.

Au premier coup d’œil, je fus rassuré. Paul, pour le moment, avait complètement abandonné la ligne perpendiculaire pour la