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HISTOIRE DE MES BÊTES.

— Alors, envoyez-moi votre Eau-de-Benjoin.

— Ah ! Monsieur, vous verrez quelle acquisition vous venez de faire ! un valet de chambre du plus beau ton qu’il soit possible de voir, entre le citron et la grenade, parlant quatre langues, sans compter la sienne ; bon à pied, bon à cheval ; n’ayant qu’un défaut : c’est de perdre tout ce qu’on lui confie ; mais, vous comprenez, en ne lui confiant rien…

— C’est bien, Chevet ; merci, merci !

Par le convoi de quatre heures, je vis arriver Eau-de-Benjoin ; Chevet ne m’avait pas trompé : Eau-de-Benjoin n’avait rien du front déprimé, du nez aplati, des grosses lèvres nègres du Congo ou de Mozambique.

C’était un Arabe abyssin avec toute l’élégance de formes de sa race. Comme l’avait dit Chevet, il était d’un ton de peau qui eût fait le bonheur de Delacroix. Voulant juger ses connaissances tant vantées en philologie, je lui adressai quelques mots en italien, en anglais et en espagnol ; il y répondit assez juste ; et, comme il parlait très-bien français, j’arrivai à être convaincu, comme Chevet, qu’il savait quatre langues, sans compter la sienne.

Maintenant, comment cette goutte de senteur, nommée Eau-de-Benjoin, était-elle éclose au penchant des monts Samen, entre les rives du lac d’Ambra et les sources du fleuve Bleu, c’est ce qu’Eau-de-Benjoin ne put jamais me dire lui-même, et, par conséquent, ce que je ne vous dirai pas. Seulement, tout ce que l’on pouvait distinguer dans les ténèbres de son premier âge, c’est qu’un Anglais, un gentleman traveller, qui venait de l’Inde par le golfe d’Aden, eut l’idée de remonter le fleuve à