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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Je me rendis donc au dîner de M. de Salvandy, sinon fort inquiet, du moins passablement préoccupé.

M. de Salvandy me fit sa meilleure mine, ses plus blanches dents, et, après le café, m’entraînant par le bras dans le jardin du ministère :

— Mon cher poëte, me dit-il, il faut que vous nous rendiez un service.

— Un poëte rendre un service à un ministre ! Je le veux bien, ne fût-ce que pour la rareté du fait. De quoi s’agit-il ?

— Avez-vous des dispositions prises pour votre hiver ?

— Moi ? Est-ce que je prends jamais des dispositions ? Je vis comme les oiseaux, sur une branche ; s’il ne fait pas de vent, j’y reste ; s’il fait du vent, j’ouvre mes ailes et je m’en vais où m’emporte le vent.

— Et auriez-vous quelque répugnance à ce que le vent vous emportât vers l’Algérie ?

— Aucunement ; j’ai toujours eu. au contraire, la plus grande envie d’aller en Afrique. J’allais partir le 26 juillet 1830, à cinq heures du soir, lorsque, à cinq heures du matin, parurent, dans le Moniteur, les fameuses Ordonnances. Il en résulta que, le soir, au lieu de prendre la malle-poste, je pris mon fusil et que, trois jours après, au lieu d’arriver à Marseille, j’entrais dans le Louvre.

— Eh bien, si votre désir est toujours le même, je vous offre de vous aider à faire le voyage.

— Ouf ! répondis-je, les temps sont bien changés ! Il y a seize ans, j’étais un jeune homme, une espèce de bachelier de Salamanque, courant les grands chemins à pied, le havre-sac sur le